Le dernier voyage...

Il était enfin de retour après cinq longues années d’absence, d’oubli même… Arrêté par la milice, on savait qu’il avait été déporté, mais on avait perdu sa trace. Le croyant mort, sa femme, comme beaucoup d’autres, avait suivi un soldat américain au-delà de l’Atlantique. Aujourd’hui, prévenus de son retour, le maire et ses adjoints, l’air plutôt gêné, attendent le bus de 10 heures et ce rapatrié de Russie. Pas d’étreintes, pas d’embrassades, rien qu’un grand silence pesant pour accueillir le revenant et sa pauvre valise. Il est de retour au village, vivant certes, mais encore très amaigri et terriblement seul. Sur le seuil de sa maison, les élus s’éclipsent discrètement, sans échanger un seul mot… Quelques années ont passé qui ont permis au « Dédé » de remettre de l’ordre dans sa maison et son petit atelier pillés pendant sa longue absence. Il a repris ses occupations et on a oublié l’épisode pénible de son retour. Le Dédé est serrurier et il y a beaucoup de travail dans la région après les désastres des années passées. Avant la guerre, il était maréchal ferrant mais avec l’arrivée des tracteurs, il a fallu se reconvertir. Il s’est tourné vers le fer forgé et son carnet de commandes est plein « pour plusieurs générations » comme il dit. Il travaille seul pour « préserver sa tranquillité » depuis que la solitude est devenue son univers et c’est toujours seul qu’on le voit parfois, à la pêche ou à la chasse. Venu de nulle part, un petit roquet moche comme un pou et sans âge s’est épris d’amitié pour lui et ne le quitte plus...

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Quand l’armurier se vantait de vendre les meilleures chevrotines du monde...

Nous sommes en 1947. Après huit années de « presque » tranquillité cynégétique, le gibier était redevenu abondant dans les forêts du grand Est de la France. Celles de Haute-Saône n’échappaient pas à la règle et, dans quelques-unes qui bordent les Vosges et la Haute-Marne, les sangliers étaient présents en nombre. C’était la période où l’on ressortait les vieux fusils, qui étaient soigneusement cachés dans les caves, les greniers et même les annexes des bâtiments agricoles, plutôt rustiques à l’époque. Bref, la machine se remettait lentement en marche, chaque nemrod recherchant pour la chasse, tout ce qui pouvait envoyer une gerbe de plombs avec un minimum de risques. Les tubes des armes avaient souffert d’une claustration prolongée au cours de laquelle la rouille avait fait son œuvre, prélevant tous les ans un peu de ce précieux métal qui fait la solidité des canons et leur résistance au coup de feu. Mais, si les armes étaient farouchement recherchées, les munitions l’étaient aussi. Les balles ? N’en parlons pas ! D’une part, les canons affinés ne les auraient probablement pas supportées, d’autre part, elles n’étaient pas à la mode, et enfin, hormis les « grands » chasseurs qui allaient « guerroyer le gibier » en Afrique, elles ne faisaient pas partie de ces cartouches avec lesquelles on culbutait les sangliers. Seules les chevrotines comptaient. Avec elles, du 7 aux 28 grains, soigneusement rangées dans leurs étuis cartonnés, les bêtes noires avaient intérêt à durcir leur armure, avant de se la faire trouer...

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Chambord, le roi manqué au drapeau blanc

Chambord, ce domaine royal de chasse édifié par François Ier, échappa de peu à celui qui en portait le nom, et rêvait de s’y installer en roi. Henri d’Artois, comte de Chambord, héritier des Bourbons, aurait pu coiffer la couronne de France au crépuscule du Second Empire. Mais le sacre lui échappa comme une bête trop longtemps traquée : à force de guetter le moment décisif, il refusa le compromis qui l’aurait fait monter sur le trône. Né en 1820, petit-fils de Charles X, Henri d’Artois grandit dans l’ombre de l’exil, mais sans renoncer à son retour au pays. Il observait la France comme un veneur guette la forêt, élaborant son plan de retour : une monarchie débarrassée de l’arbitraire, respectueuse des libertés individuelles et religieuses, appuyée sur une administration décentralisée. La défaite de Sedan et la chute du Second Empire en 1870 offraient enfin au prétendant l’occasion de revenir au premier rang. L’Assemblée, issue des élections de février 1871, était majoritairement monarchiste. Le terrain était prêt, la battue organisée, le gibier politique presque acculé. Mais comme dans toute chasse, même royale, une règle, un détail, peut faire manquer le coup décisif. Ce détail, ce fut un drapeau. Henri d’Artois, fidèle à son honneur comme un veneur à sa meute, refusait obstinément de renoncer au drapeau blanc des Bourbons, symbole de son lignage et des chasses glorieuses de ses ancêtres. Pour lui, le tricolore n’était que l’étendard de la Révolution. Dans son manifeste de juillet 1871, il s’exclama : « Je suis prêt à tout pour relever mon pays de ses ruines […] le seul sacrifice que je ne puis lui faire, c’est celui de mon honneur. Je ne laisserai pas arracher de mes mains l’étendard d’Henri IV, de François Ier et de Jeanne d’Arc. Il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe... ». Comme un chasseur préférant s’abstenir de tirer plutôt que de prendre le risque de blesser, Henri d’Artois choisit l’honneur au détriment de l’efficacité politique. Même lorsque légitimistes et orléanistes parvinrent à s’entendre en 1873, ouvrant la voie à une restauration monarchique, il resta campé sur son refus. Ni les députés, ni le pape Pie IX, ni les nécessités du moment ne purent l’ébranler. Cette fidélité au drapeau blanc fut sa grandeur autant que sa perte. Le titre lui échappa, et la 3e République s’enracina pour soixante-dix ans. Henri d’Artois, chasseur inflexible, resta jusqu’à sa mort, en 1883, ce « roi sans couronne », fidèle à son étendard comme à une proie idéale qu’il ne voulut jamais abattre au prix d’un compromis.

Feu Monsieur le Comte

Il n’y avait pas une fleur, mais sur le cercueil, soigneusement rangés, se trouvaient la toque, le fouet, la dague et la tenue d'équipage du défunt…

 

Derrière la voiture, tirée par un cheval, qui menait la dépouille de feu Monsieur le Comte à sa dernière demeure, suivait une trentaine de chiens du vautrait, sous le fouet des deux piqueux. Derrière encore, les quatre plus anciens boutons observaient, d’un regard triste, la meute. Ainsi l’avait voulu Monsieur le Comte qu'on allait enterrer…

 

Par C.M.

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Quand la montagne se refermera...

La vieille louve menait sa meute depuis des années. Riche d’expériences, prudente mais implacable, elle connaissait les passages, les clôtures fragiles, l’odeur des bêtes rassemblées. Cette nuit-là, les prédateurs avaient flairé la proie depuis la crête, guidés par le musc des brebis et la chaleur animale qui montait des replats. La meute avançait en silence, oreilles basses, frôlant les ombres. Devant la bergerie, le Patou veillait. Vieux compagnon, massif, couturé de cicatrices, gardien infatigable, il avait déjà tenu tête aux loups, souvent en hurlant sa présence, parfois en mordant, mais jamais encore il n’avait dû lutter pour sa propre vie. L’assaut fut bref, violent. La louve bondit la première, la gueule ouverte sur la gorge du chien. Ils roulèrent au sol dans une lutte sourde. Le Patou encaissa, puis rendit les coups avec toute la force de sa mâchoire. Ses crocs trouvèrent le cou de la vieille meneuse, l’écrasèrent dans un craquement sec. Elle s’effondra dans la poussière, la gueule tordue, le souffle rompu. Mais le chien n’en sortit pas indemne. La cuisse transpercée, la chair arrachée, il boitait déjà. Son sang tachait la terre au pied de la clôture. La meute recula, hésitante. Sans sa cheffe, elle n’osa pas s’aventurer plus loin cette nuit-là. Les brebis, serrées les unes contre les autres, tremblaient dans la clarté lunaire. Le berger, Adrien, arriva trop tard. Il trouva son chien couché, haletant, et le cadavre de la louve encore chaud. Il fit ce qu’il fallait : appeler le vétérinaire, soigner tant bien que mal le Patou, rassurer ses bêtes. Mais au fond de lui, il savait : rien n’était fini...

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Un chien de chasse au milieu des fleurs… et ça a fait « scratch ! »

En 1941, une simple balade dans les prés du Jura avec son chien a déclenché une idée révolutionnaire chez l’ingénieur vaudois George de Mestral. Alors qu’il ôtait des bardanes accrochées à ses vêtements et à la fourrure de son compagnon à quatre pattes, il observe au microscope les minuscules crochets capables de s’agripper aux boucles de tissu. Fasciné, il décide, au fil de dix années d’expérimentations, d’en reproduire mécaniquement le principe. À ses débuts, le dispositif était conçu à partir de coton, matériau séduisant sur le plan visuel, mais hélas peu durable. C’est seulement après avoir transféré ses efforts vers le nylon, puis le polyester, matériaux dotés d’une durabilité et d’une « mémoire de forme », qu’il parvient à développer un système fiable de fermeture à crochets et boucles, qu’il nomme « Velcro », contraction astucieuse de velours et crochet. De Mestral dépose sa demande de brevet en Suisse en 1951, qui est accordé en 1955, marquant la naissance de « Velcro SA », la première entreprise à industrialiser cette technologie. Dans les années suivantes, Velcro se développe rapidement. La marque est déposée aux États-Unis en 1958 et l’invention est adoptée dans des secteurs aussi variés que l’habillement, les chaussures, avec la première basket à scratch présentée par Puma aux Jeux olympiques de Mexico en 1968, et même l’aérospatial, puisque le Velcro accompagne les astronautes d’Apollo 11 sur la Lune en 1969. Véritable symbole des années 1960, cet ingénieux système reste omniprésent aujourd’hui...

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Au delà…

Le comte Charles-Henri de la Futaie mourut à quarante-cinq ans. Mort stupide d’ailleurs, dans un accident d’automobile... Il roulait, ce matin-là, sur la petite route de Vacquemont, pour aller faire l’ouverture au bois dans sa chasse de Bellegorge. Le temps était beau, le moteur de la petite voiture de sport tournait rond et le compteur oscillait gentiment entre 70 et 80 kilomètres à l’heure. Charles-Henri était arrivé le matin même de Vichy où il avait gagné, la veille et pour la troisième fois, le grand prix du tir aux pigeons. Le score était sans équivoque : 99/100. Juste le temps de prendre ses bottes, son griffon Kortal et Aurèlie, une magnifique jeune femme blonde qui avait accepté de l’accompagner pour ce week-end champêtre. Charles-Henri nageait dans le bonheur, la vie était on ne peut plus belle. Il tourna la tête vers Aurèlie et pensant confusément aux joies du soir, sentit un délicieux frisson lui courir entre les épaules. C’est à ce moment que l’énorme camion déboucha du virage… Quand Charles-Henri ouvrit les yeux, il se trouvait dans une vaste pièce peu éclairée. Dans un angle, deux hommes à barbe blanche le regardaient. Le plus âgé lui demanda : « Vous êtes Charles-Henri de la Futaie n’est ce pas, fils de… voyons… » et il feuilleta un gros livre aux pages jaunies par le temps. « Ah, voilà ! Charles-Henri de la Futaie, fils de Louis-Arsène de la Futaie et de Marie-Thérèse du Chossoy. Oui, bof, pas très brillant en somme ! ». Charles-Henri osa timidement : « Monsieur, enfin… Monseigneur, je veux dire… », « Appelez le Saint Pierre, tout simplement. Moi, je suis Hubert, votre Patron » dit le deuxième personnage. « Très heureux » répondit Charles-Henri avec une gracieuse inclinaison de la tête...

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Récit de chasse : comment un match de foot tourna en corrida rurale...

Dans ce petit village de plaine de Picardie, la vie suivait d’ordinaire un rythme pépère. Le matin, on saluait les voisins au café, on parlait météo comme si on était tous présentateurs de TF1, et l’après-midi, on s’occupait entre la chasse et le foot. Les bois communaux étaient si minuscules qu’un sanglier en résidence permanente aurait fini par tourner en rond, se cogner aux arbres et demander un GPS. Mais parfois, un gros noir en goguette, en transit entre deux forêts domaniales, passait par là, comme un touriste égaré qui s’arrête dans un village juste, pour la boulangerie. Bref, jusqu’à ce fameux dimanche de février, tout allait bien. Cependant, ce jour-là, le calme rural prit des RTT et se mua en avis de tempête. Deux événements majeurs étaient au programme : d’une part, la partie de chasse dominicale, et d’autre part, le match de foot, décisif pour la montée en division supérieure. Deux activités a priori sans rapport… Enfin, ça, c’était avant que la faune locale décide de faire du sport interdisciplinaire. D’un côté, l’équipe de foot jouait son avenir. De l’autre, les chasseurs avaient eu vent qu’un fort sanglier, vu dans la semaine précédente par plusieurs ramasseurs de champignons, traînait dans les parages. L’un jurait même avoir été poursuivi par la bête, mais comme il avait tendance à confondre un sanglier avec un labrador, tout le monde prenait l’info avec beaucoup de réserve. Mais problème : le gardien de but était aussi… le directeur de chasse, et il choisit la battue plutôt que les cages. Les supporters étaient furax, mais il avait sa logique : « des buts, on en prend tous les dimanches, mais un sanglier de cent kilos, c’est plus rare ! »...

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À l’assaut de la bête noire… …au couteau

Revenu d’Allemagne où il avait été retenu prisonnier, le Jean, un solide gaillard bâti comme un roc, avait repris le travail dans sa ferme. Il fallait tout remettre en état, retrouver un cheval, les outils dispersés et… retrousser les manches ! Tout avait beaucoup changé au village avec la venue des Américains. Les enfants, en galoches, enveloppés dans leurs pèlerines, guettaient chaque passage de jeep pour ramasser, en cachette de leurs parents, les chocolats et les chewing-gums que leur jetaient des soldats rigolards. Elle était insolite cette époque, avec d’un côté un monde éprouvé, usé, qui devait se reconstruire, et de l’autre, une jeunesse insouciante, qui ne pensait qu’aux filles et à la gaudriole. Pour ceux qui s’en souviennent encore, les années qui ont suivi la libération ont été terribles et aggravées par des hivers longs et rigoureux. Dans une France qui manquait de tout, les ruraux semblaient, malgré tout, privilégiés par rapport aux citadins. Les chènevières produisaient de précieux légumes et les affouages permettaient de se chauffer dès les premiers grands froids, la combine permettant de trouver le reste. Pas un lopin de terre n’était disponible dans ce pays qui avait appris les privations et l’autarcie. La chasse redevenait une activité autorisée et, après 5 années d’interdiction, les vieux fusils sortaient de leurs enveloppes graisseuses, elles-mêmes sorties des cachettes aménagées sous les planchers ou dans les charpentes des bâtiments. Inutile de préciser que ces années de stockage clandestin avaient eu raison du plus robuste métal et que, bien souvent, le pitoyable état ne montrait que des canons piqués, attaqués en profondeur par une rouille tenace, voire quelquefois percés ailleurs que sur leurs extrémités. Pour ces derniers, le sort en était jeté, mais pour les autres, la méthode souveraine pour les remettre en état consistait en un bain de pétrole et une application d’huile fournie par les Américains. Ainsi “rénovée”, la pétoire reprenait du service, comme une neuve… ou presque.

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Rencontre inopportune...

1943 : la France est occupée et les Français se sont installés dans cette drôle de guerre sans trop savoir ce qui leur arrive. Des Allemands ? On en rencontre quelquefois, mais une sorte d’équilibre s’est installée et chacun feint d’ignorer l’autre. Les maquis sont très actifs dans cette région et les « SS » font des patrouilles incessantes entre le chef-lieu et la sous-préfecture du nord du département. Ils font peur et tous se détournent à leur passage. La nuit, on entend parfois des tirs, mais on se refuse à poser des questions sur leurs origines, questions qui souvent pourraient être bien gênantes. À Autrecourt-sur-Aire, petit village de l’Argonne, toute la vie est concentrée sur le ravitaillement. Il faut savoir que Autrecourt est un haut lieu de la chasse et sa plaine est régulièrement pillée par les dignitaires allemands. Ils arrivent en bus le matin, sans prévenir, réquisitionnent tout ce qu’ils trouvent pour former un rabat et chassent toute la journée lièvres et perdreaux qui abondent. Les traques sont identiques et toujours menées de la même façon : une équipe chasse de Lavoye vers Ville-sur-Cousances, situé sur le flanc nord du territoire, pendant que l’autre chasse parallèlement de la fontaine de Saint-Avit à Hypécourt, flanc sud du secteur de chasse. Après un regroupement et une collation à la baraque des cantonniers, au-dessus d’Hipécourt et sous les regards envieux des Français, tout le monde revient par le Fond de l’Enfer, au centre du terroir, là où le gibier qui a échappé aux rabats précédents, est venu se réfugier...

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Ma belle voisine

La forêt domaniale des Lessinnes étend ses ondulations sur un vaste plateau calcaire à quelque distance d’un petit bourg de l’Est, bien connu pour la réputation de sa métallurgie. Le rendez-vous de chasse de la société  « Les amis des Lessinnes », adjudicataire du massif, avait été aménagé dans une ancienne maison de garde forestier. Une grande pièce accueillante, chauffée par une large cheminée, jouxtait sur sa droite une cuisine et sur sa gauche un chenil cimenté, bien abrité des vents dominants, dans lequel s’ébattaient joyeusement une dizaine de chiens de toutes races, comprenant deux fox, un basset fauve de Bretagne, quatre nivernais et trois briquets de pays, des « barbouilloux » issus de croisements dont seule la nature a le secret. On devinait les origines à leur attitude, tenant bien plus du chien de troupeau que du chien de chasse. C’est là que, mon frère jumeau et moi, étions attendus par le maître des lieux, qui nous avait courtoisement invités à venir partager une journée de chasse aux sangliers, avec son équipe. Bien qu’originaires du bourg, que nous avions quitté très jeunes, c’était la première fois que nous étions conviés à une chasse dans les Lessinnes, dont la réputation et les récits de leurs succès nous parvenaient régulièrement par des parents et amis. Nous étions début décembre, période où les bêtes noires sont les moins discrètes, ce qui garantit souvent le succès des battues. Le nouveau tout-terrain de mon frère venait de prendre rang dans la cour, au milieu d’autres véhicules, arrivés avant nous. La journée, sans vent, sous un ciel dégagé, s'annonçait magnifique. Actionnaires et invités, une trentaine en tout, animaient la grande salle à manger, tous affairés devant la soupe au lard bien chaude que servait la femme du chef traqueur, préposée à la seule préparation des repas, la boisson étant une chose bien trop grave pour qu’on la retire à la délicatesse de chacun. Parmi cette joyeuse assemblée, deux femmes, costumées en chasseresses élégantes, bavardaient entre elles. « Des femmes, à la chasse au sanglier ! » chuchota d’un ton désabusé mon frère. Il est vrai qu’il avait conservé les vieilles traditions de nos ancêtres, qui ne les toléraient pas volontiers dans d’autres activités que celles pour lesquelles ils pensaient qu’elles étaient faites : la cuisine et les enfants ou l’inverse, si cet ordre vous choque...

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Le rogneux de la combe Vateaux

Les hommes sont ingrats, mais la nature sait se montrer généreuse avec ceux qui l’aiment… Depuis que les habitants de notre beau pays se sont réunis autour d’un clocher pour former un village, il s’est établi, presque naturellement, une hiérarchie. D’abord intellectuelle, elle imposait la trilogie du maire, du curé et de l’instituteur. Venait ensuite ceux pour qui il fallait avoir du respect, ce qui, à la campagne, place en tête le vétérinaire, puis le médecin, le notaire, les propriétaires terriens et tous les autres chefs d’entreprises, artisans et commerçants. Pour fermer le ban, il restait les besogneux, discrets par obédience, sobres par obligation et pieux par nécessité. La nourriture divine était largement distribuée et à défaut de remplir les estomacs, elle comblait d’aise les bigotes et les bigots, lesquels se reproduisaient entre eux, dans un espace délimité par la vitesse de déplacement d’un cheval de trait, ce qui, ramené au vélo qui commençait à encombrer les routes empierrées, laissait un peu plus de temps pour découvrir les choses de la vie. C’est dire que les plus hardis allaient jusqu’au village voisin, tandis que les autres sévissaient localement. Le brassage génétique était donc limité, et donnait naissance à quelques cas originaux mais pas dépourvus d’intérêt. Les « psys » d’aujourd’hui tentent de les analyser, avec bien entendu toutes les réserves d’usages, puisque, comme vous et moi, ils en sont issus. Dans ce milieu authentique, que nous situerons, pour ne froisser personne, entre nord et sud et au centre d’un axe est/ouest, naquit un jour, dans le hameau de X…, un petit garçon, aussi rouquin que son père et sa mère ne l’étaient pas. Ils le prénommèrent Félix, comme son grand-père maternel, avec Cornélius et Isidore en deuxième et troisième prénoms. Déjà chargé de ce lourd handicap, Félix fréquenta l’école jusqu’à ses quatorze ans révolus…

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Le glorieux temps des chevrotines

Pendant la dernière guerre, la chasse était interdite. Mais, malgré un braconnage aussi dangereux qu’intensif, les sangliers pullulaient… En trouvant à la libération la table mise, les chasseurs, complètement irresponsables, ont réglé le problème de la surpopulation en quinze ans. C’était l’époque où l’on affirmait haut et fort que les grandes migrations de sangliers arrivaient chaque année des pays de l’Est et qu’il n’y avait qu’à se servir quand ils étaient de passage. Tirant sur leurs bretelles, bedaine en avant, les plus grands connaisseurs affirmaient même doctement au bistrot du village, que ces mouvements migratoires étaient suivis par des « gens, probableu...ment des savants » en hélicoptère. En rupture avec les traditions d’avant-guerre, c’est en jeep, Dodge et autres GMC que les chasseurs pénétraient maintenant les grands massifs forestiers pour « débarder » leur gibier.  En Argonne précisément, pays de toutes les passions, on pendulait même les sangliers selon une méthode hautement scientifique. La technique, fort simple au demeurant, est encore utilisée aujourd’hui, dans le secret de certaines baraques de chasse et ne fait rire personne. On se rassemble autour de la carte du massif, que le gourou du coin, appelons-le... Bernard, parcourt de son pendule. Si l’objet de sorcier bouge, il trahit la présence des sangliers, dont on peut même estimer le nombre en fonction de l’excitation de l’instrument. Surtout, pas de deuxième passage qui ferait fuir les animaux, trop magnétisés ! Lors de la chasse du lendemain, deux hypothèses sont alors possibles, toujours très scientifiques : la première est que l’on rencontre des sangliers, et le gourou est alors encensé, la seconde est que l’on fasse buisson creux et on cherche alors le « foutu salopard » qui a fait fuir les sangliers en les pendulant une fois de trop. Il ne viendrait à l’esprit de personne de douter un instant de l’efficacité de l’outil.

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Le coup de Jarnac

Ce mercredi de fin juillet 1943, le père Alphonse se rendait à son champ de « cartouffes » (pommes de terre), pour le ramassage quotidien du précieux tubercule. Le père Alphonse, un typique septuagénaire de l'époque, casquette vissée, même pendant les repas, sur un crâne dégarni, longues bacchantes grises encadrant une bouche édentée, était encore un solide gaillard aux muscles noueux, hérités de sa jeunesse de bûcheron ardennais pure souche. Donc, ce jour-là, et c’était la façon la plus efficace de subvenir aux besoins alimentaires de la famille, il se rendait sur son petit lopin de terre, quelques ares et des poussières récupérées sur les friches voisines, consacrés à la précieuse denrée, rare en cette période de conflit armé. Et comme tout le monde le sait, un Ardennais sans patates, c'est l'Ardenne sans sangliers. La récolte promettait d’être satisfaisante sur cette terre généreuse, fumée et labourée avec l’aide du cheval du fermier voisin, que ce dernier prêtait en échange de quelques petits travaux d'entretien. Il est vrai que le père Alphonse avait terminé sa vie active dans la mécanique, oh ! pas celle de précision, mais dans la grosse mécanique, celle de la masse, du marteau et autres engins de torture du métal. Il faut dire aussi qu’il cultivait, en plus et à la bêche, deux verges de potager attenant à sa maison et au champ. Ainsi, depuis plusieurs saisons, le père Alphonse vivotait du petit commerce de sa production de légumes, pommes et lapins vendus au marché (quelquefois noir) et transportés sur sa vieille brouette ou sur sa remorque de bicyclette. Il suffisait, pour l'exercice de ce modeste commerce, de régler un modique ticket au placier municipal, car on n'exigeait pas alors une patente pour une activité aussi naturelle.

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