Chambord, ce domaine royal de chasse édifié par François Ier, échappa de peu à celui qui en portait le nom, et rêvait de s’y installer en roi. Henri d’Artois, comte de Chambord, héritier des Bourbons, aurait pu coiffer la couronne de France au crépuscule du Second Empire. Mais le sacre lui échappa comme une bête trop longtemps traquée : à force de guetter le moment décisif, il refusa le compromis qui l’aurait fait monter sur le trône. Né en 1820, petit-fils de Charles X, Henri d’Artois grandit dans l’ombre de l’exil, mais sans renoncer à son retour au pays. Il observait la France comme un veneur guette la forêt, élaborant son plan de retour : une monarchie débarrassée de l’arbitraire, respectueuse des libertés individuelles et religieuses, appuyée sur une administration décentralisée. La défaite de Sedan et la chute du Second Empire en 1870 offraient enfin au prétendant l’occasion de revenir au premier rang. L’Assemblée, issue des élections de février 1871, était majoritairement monarchiste. Le terrain était prêt, la battue organisée, le gibier politique presque acculé. Mais comme dans toute chasse, même royale, une règle, un détail, peut faire manquer le coup décisif. Ce détail, ce fut un drapeau. Henri d’Artois, fidèle à son honneur comme un veneur à sa meute, refusait obstinément de renoncer au drapeau blanc des Bourbons, symbole de son lignage et des chasses glorieuses de ses ancêtres. Pour lui, le tricolore n’était que l’étendard de la Révolution. Dans son manifeste de juillet 1871, il s’exclama : « Je suis prêt à tout pour relever mon pays de ses ruines […] le seul sacrifice que je ne puis lui faire, c’est celui de mon honneur. Je ne laisserai pas arracher de mes mains l’étendard d’Henri IV, de François Ier et de Jeanne d’Arc. Il a flotté sur mon berceau, je veux qu’il ombrage ma tombe... ». Comme un chasseur préférant s’abstenir de tirer plutôt que de prendre le risque de blesser, Henri d’Artois choisit l’honneur au détriment de l’efficacité politique. Même lorsque légitimistes et orléanistes parvinrent à s’entendre en 1873, ouvrant la voie à une restauration monarchique, il resta campé sur son refus. Ni les députés, ni le pape Pie IX, ni les nécessités du moment ne purent l’ébranler. Cette fidélité au drapeau blanc fut sa grandeur autant que sa perte. Le titre lui échappa, et la 3e République s’enracina pour soixante-dix ans. Henri d’Artois, chasseur inflexible, resta jusqu’à sa mort, en 1883, ce « roi sans couronne », fidèle à son étendard comme à une proie idéale qu’il ne voulut jamais abattre au prix d’un compromis.