Commence alors une nouvelle ère, radicalement différente. Les lieux de prière se muent en cellules, les cloîtres en couloirs disciplinaires. La spiritualité cède la place à l’enfermement. Clairvaux devient l’un des pénitenciers les plus redoutés de France, abritant aussi bien des prisonniers politiques que de droit commun. Le contraste entre l’histoire spirituelle et carcérale de Clairvaux se lit dans un épisode singulier survenu dès 1793. Un journal rapporte en effet une anecdote insolite : « Emprisonné à Clairvaux en 1793, sous la Révolution française, le futur roi Louis-Philippe (alors duc d’Orléans) était grand amateur de trompe de chasse. Un ami du prince, lui a offert des méthodes de musique pour trompes, que le duc d’Orléans a parcouru avec plaisir. Par une délicate attention, un ancien piqueux, habitant Clairvaux, se rend depuis deux jours sur le coteau Lavigne, situé derrière le pénitencier, et, là, joue quelques fanfares pour égayer le Prince. Hier soir, par exemple, il a joué la « d’Orléans », fanfare dédiée à Monseigneur le Duc d’Orléans, puis les airs de chasse « le Sanglier » et « le Bonsoir ». Le Duc d’Orléans a reçu aujourd’hui les visites du duc de Laynes et du colonel de Parseval. MM. Les capitaines Morhain et Damas sont arrivés à Clairvaux, mais n’ont pu être reçus. Ces deux officiers ont chargé le colonel de Parseval de transmettre au Prince prisonnier, les hommages et les vœux qu’ils avaient mission de lui présenter de la part de sa famille et de nombreux camarades de l’armée ».

 

La chasse au cœur de la région...

Ce fragment d’histoire donne un relief inattendu aux murs austères de Clairvaux : une prison certes, mais où l’écho d’une fanfare de chasse est venue, un instant, rompre le silence des cellules et réchauffer le cœur d’un prince captif. Tout au long du 19e siècle, Clairvaux demeure un centre majeur de l’univers pénitentiaire français. Ses murs accueillent des condamnés de droit commun, mais aussi des figures politiques, comme les communards après 1871. La maison centrale de Clairvaux incarne la rigueur du système carcéral, avec sa discipline sévère et ses ateliers de travail obligatoire. Au 20e siècle, le lieu conserve son rôle de prison, mais les débats sur les conditions de détention s’intensifient. L’image de Clairvaux reste associée à la dureté et à l’enfermement, en contraste saisissant avec le message originel de saint Bernard : un espace tourné vers la lumière, la méditation et la foi. Après plus de deux cents ans d’activité carcérale, la maison centrale de Clairvaux a été progressivement désaffectée. Les derniers détenus ont quitté le site au cours des années 2021–2022, mettant un terme à une longue histoire d’incarcération. Aujourd’hui, le vaste ensemble est classé monument historique. Lieu de mémoire et d’histoire, une certitude demeure : ces pierres porteront encore longtemps l’empreinte de saint Bernard, des moines cisterciens, des prisonniers anonymes et des grandes figures de l’histoire...