Le revirement scientifique de David Mech

Avec le temps, Mech lui-même prend conscience que ses conclusions sont erronées. Après plus d’une décennie d’observations de loups sauvages sur l’île d’Ellesmere, au Canada, il publie en 1999 une révision majeure : dans la nature, les meutes fonctionnent comme des familles. Le mâle et la femelle dits « alphas » ne sont pas des chefs obtenant leur rang par la violence, mais simplement les parents reproducteurs du groupe. Les jeunes quittent la meute à l’adolescence pour fonder leur propre famille. Les conflits de domination y sont rares, voire inexistants. Le couple reproducteur mange en premier, non pas parce qu’il impose sa loi, mais parce qu’il est naturellement reconnu comme parent protecteur et nourricier. Mech insiste sur le caractère artificiel des observations initiales : dans un enclos, des loups sans lien de parenté sont contraints de cohabiter, ce qui crée des rivalités inexistantes à l’état sauvage. La fameuse hiérarchie alpha, bêta, oméga, si répandue dans les représentations populaires, n’a donc aucune valeur scientifique. Mais les loups ne sont pas la seule espèce à contredire l’idée d’un mâle alpha dominateur. Chez les hyènes ou les orques, ce sont les femelles qui occupent la place centrale. Chez les lions, la cohésion repose sur la complémentarité des rôles, tandis que chez les suricates ou les rats-taupes nus, on observe des formes de leadership collectif. Comme le rappelle le biologiste Paulo Mota, les hiérarchies animales sont souvent temporaires et dépendent du contexte : défense du territoire, accès à la nourriture, reproduction. Même chez les primates, où l’on observe des individus dominants, les statuts évoluent en fonction des alliances et des circonstances. La recherche moderne tend donc à montrer que le pouvoir dans la nature n’est ni fixe, ni fondé uniquement sur la force. Coopération, adaptation et solidarité jouent un rôle tout aussi important, parfois plus déterminant encore.