En explorant leurs perspectives uniques, ces entretiens offrent un regard privilégié sur la richesse et la complexité des dynamiques communautaires dans les villages ruraux. Ces échanges sans artifice révèlent la force de la tradition comme fondement solide pour construire un avenir collectif résilient et éclairé. À travers ces voix engagées, nous découvrons que l'héritage culturel et social ne réside pas seulement dans le passé, mais aussi dans la capacité à évoluer tout en restant fidèle à ses valeurs fondamentales.
- Serge Lompech, président de la société communale de chasse : « la chasse et un lieu de rencontre, d’échange et de convivialité. C’est aussi un mode de respect et d’équilibre de la nature, n’en déplaise à certains. Durant ma vie de chasseur, elle a beaucoup évolué. Au début, c’était le petit gibier – lapins, lièvres, perdrix ou grives - qui attirait les convoitises. Et puis, l’évolution a fait que le grand gibier est devenu prédominant. Le mode de chasse a changé, et les chasseurs se sont adaptés. Je n’aurai jamais cru un jour entendre le brame du cerf depuis mon lit. Mais la chasse est, et était aussi à l’époque, un lieu de convivialité, et après une partie entre amis, elle se terminait généralement par un bon repas, avec les familles, autour d’un bon feu de bois, agréable et chaleureux. A la campagne, il n’y avait pas une maison ou une ferme sans au moins un chasseur. La chasse était aussi, durant ma jeunesse, un moyen d’améliorer les repas, de changer le menu, et le gibier était apprécié aussi par les non-chasseurs. Lorsque l’on voulait faire plaisir à un ami, on lui offrait une pièce de gibier, que tout le monde appréciait. Il n’y avait pas, à l’époque, de végans, d’écologistes intégristes, mais des gens respectueux de cette pratique. La période de chasse ne durait pas aussi longtemps que maintenant. L’ouverture avait lieu début octobre et la fermeture début janvier, ce qui était une très bonne chose car on n’occupait l’espace que sur une courte durée. Aujourd’hui, on chasse le sanglier presque toute l’année, ce qui n’est peut-être pas sain au niveau des relations avec les autres utilisateurs de la nature. Et quand la chasse était fermée, le dimanche, d’autres divertissements nous occupaient aussi... ».
- Guilhem Boucher, historien et gardien du temple des valeurs rurales traditionnelles : « C’est une civilisation de chasseurs, de cueilleurs, mais aussi d’artisans, qui, dès le paléolithique, laisse les premières traces d’occupation de Blars. Au cours des siècles et vers l’époque de Charlemagne, il est mentionné que la ferme des Brasconnies, était une réserve de bois et de chasse pour les habitants. C’est à cette époque que prend essor la langue d’Oc et sa civilisation. Communément appelée patois, cette même langue sera la langue maternelle des Blarsois jusque dans les années 1930, et la langue véhiculaire de tous les adultes, jusque dans les années 1970-1980, années de transformation radicales de la société rurale selon les termes urbains, nationaux et européens, ce qui marquera le début de l’exode rural et la fin des commerces de proximité. Blars a vécu, pendant des siècles, et vit encore de l’agriculture, toujours avec les fameuses brebis caussenardes, aux oreilles et yeux noirs. Ce village a connu des moments d’importance avec par exemple la présence d’un notaire au XVIIe siècle, et deux foires annuelles, celle du 23 mai (pour les agneaux et brebis), et celle du 23 juin dite de la Saint-Jean, qui était la grande foire. Elles ont duré jusqu’en 1973. Malgré les changements, il y a des éléments de permanence et de transmission qui font l’objet de traditions populaires. La chasse maintient un lien profond et ancien au territoire communal et à ses paysages. Les activités associatives du comité des fêtes perpétuent, notamment à travers la fête votive, le rite de rassemblement et l’acte de protection (par Saint Laurent), sous lequel s’est placé la communauté de Blars à sa création. Ainsi la fête a lieu le dimanche avant la Saint-Laurent. Mais Blars maintient aussi les aubades aux habitants le dimanche de la fête, une autre manière étant inconcevable pour les jeunes du comité des fêtes, qui a un demi-siècle d’existence, et a su créer un équilibre fidèle aux plus anciennes traditions. Bien que différent par sa forme associative, ce comité s’inscrit dans la lignée des fêtes organisées autrefois par les conscrits, requis pour le service militaire. Quelques fois, les innovations vont chercher dans la plus ancienne tradition : c’est le cas du jeu de 9 quilles, jeu séculaire dont le dernier fabricant fut Justin Bessac. Cette tradition, abandonnée en même temps que les foires, a cependant connu un regain d’intérêt dans les années 2010, en partant de l’idée que c’était à la fois une pratique ludique, sociale et locale. C’est ainsi qu’au gré des disponibilités de la belle saison, la cour de la mairie de Blars résonne de ces entrechocs de boules et quilles... sauf quand les joueurs sont invités par les villages voisins pour des échanges amicaux. Les traditions ne manquent donc pas, et celles qui sont le plus rassembleuses font l’objet d’activités et de festivités très appréciées ».
- Eve Lompech, membre éminente du comité des fêtes : « Tout au long de l’année, le comité des fêtes organise plusieurs évènements qui rassemblent les habitants et font vivre l’âme du village. Au mois de mars, c’est la traditionnelle « Fête du pain et du cochon », qui marque l’arrivée du printemps. C’est un moment convivial où les habitants se retrouvent autour d’un repas généreux. Le four de la famille Vinnac, maintenant Couderc, sert à l’élaboration des fameuses tourtes partagées au repas, et les fritons cuits dans le grand chaudron (lo païrolo) sont appréciés unanimement. En novembre, la soirée Beaujolais est aussi très attendue. Ce vin nouveau, accompagné de charcuteries et d’autres spécialités régionales, attire beaucoup de monde et toutes les générations se croisent et échangent. Mais le temps fort de l’année reste la fête votive qui a lieu chaque premier week-end d’août. Pendant plusieurs jours, le village s’anime autour de repas collectifs, de bals, d’activités pour les enfants et de nombreuses autres animations. C’est un évènement incontournable qui attire toutes les générations et de nombreux visiteurs, avec une vraie ambiance de fête où chacun à sa place. Aujourd’hui les jeunes, et c’est tant mieux, s’impliquent activement dans le comité des fêtes pour que ces rendez-vous festifs continuent d’exister et soient transmis aux générations futures. C’est ainsi que les traditions, comprises et pratiquées, relient les gens entre eux et les générations entre elles. La mémoire du passé, les usages présents et les enjeux à venir sont un terreau inépuisable dans lequel il faut fouiller pour leur redonner une place stable et assumée, dans les révolutions tourbillonnantes de la digitalisation, de l’intelligence artificielle, des changements climatiques ou des violences surmédiatisées. C’est, en tous cas, avec plus de gestes que de mots, qu’à Blars, en 2025, on entend vivre aux sons de la langue, des jeux, de la chasse et des recettes des aïeux, mêlés aux réalités contemporaines, non pas en les fuyant, mais en les accueillant et en restant fidèle à la rime populaire : « De po, de bi, de car, sen d’o Blars ! » (du pain, du vin, de la viande, nous sommes de Blars !). Et c’est ainsi qu’un village vit, fier de ses traditions devenues un art de vivre patrimonial, autour des deux entités incontournables que sont l’équipe de chasse et le comité des fêtes, rassembleurs des valeurs festives, colonne vertébrale de cette ruralité qui nous tient debout et que nous aimons tant ».