Outre Atlantique… 

Il débute dans la vie professionnelle comme fonctionnaire, au ministère de l’Education Nationale de l’époque, puis passe au département « Manuscrits » de la Bibliothèque Nationale, à Paris. Sa première publication, en 1839, analyse l’historique du port d’armes. Il raconte, dans les premiers numéros du « Journal des Chasseurs », ses chasses dans les marais de Camargue. Il est facile d’imaginer notre fonctionnaire, rêvant de jeter ses manchettes de lustrine pour enfiler des gants en cuir gras. Cette même année 1839, dans le même journal, il passe sous le pseudonyme de René François, un commentaire de « la chasse gracieuse du lièvre charmé », chapitre tiré du livre écrit par un jésuite du nom de Binet. Mais surtout, lors de son travail à la Bibliothèque Nationale, il avait repéré le manuscrit 7615. C’est « La chasse du cerf », un des premiers monuments de la littérature cynégétique française. Revoil en publie une édition sur deux colonnes, avec texte initial à gauche, et transcription en français moderne à droite. C’est un véritable travail d’érudition, dans l’esprit de l’époque, qui voulait réhabiliter le Moyen-Age. A 30 ans, Revoil largue les amarres pour la découverte des Etats-Unis. Sa vie y sera un mélange de vie sage de journaliste et de dramaturge, puisqu’il y présente plusieurs pièces en anglais, et de vie aventureuse lors de la découverte de la fameuse frontière, ligne de la civilisation européenne qui grignote toujours plus à l’ouest, vers le Mississipi et au-delà. Il parcourt, du Canada au golfe du Mexique, cet immense territoire qui fut un temps français. Ce ne sont que des chasses aventureuses et risquées, où la nature tient en réserve, pour le chasseur d’Europe, des jouissances inconnues et extrêmes. Vastes étendues où « la civilisation n’a pas encore plantée sa hampe », qui est le parcours habituel des Indiens, des pionniers, des trappeurs-coureurs des bois et de nègres marrons. Mais il trouve les frimas canadiens trop extrêmes lors d’une chasse à l’élan, et opte pour celle de l’alligator, avec la machine électrique, chasse dite aussi « du tonnerre de Satan ». Il y accompagne un violoniste qui se fournit ainsi en boyau de première qualité pour son instrument. Que de spécimens curieux de l’humanité, au fil de ces pages. Même les parties de chasse avec la bonne société de la côte est, lui font découvrir des lieux inattendus, des gibiers somptueux, des personnages dignes d’un roman. Pour qui aime les oiseaux, ces textes, par leurs commentaires, illustrent et mettent en valeur les magnifiques gravures d’Audubon. Pourtant, certains critiques classent ces romans dans la littérature de boys scouts. Fallait-il croire que leur popularité découlait d’un darwinisme mal compris ? L’Américain, dans une extase humiliée, se féliciterait d’avoir le singe dans son arbre généalogique…

 

Retour en France

Revenant des Etats-Unis avec une malle remplis d’auteurs à traduire, et de notes prises sur le terrain, Revoil peut s’atteler à son travail d’auteur. Il suit le conseil d’Eugène Chapus, autre pilier littéraire du « Journal des Chasseurs », qui confirme que « le vent de la vogue est à la chasse ». Etablir la liste des romans signés Revoil n’apporterait rien à cette chronique. Contentons-nous donc de relever quelques repères. « La Saint Hubert » présente différentes rubriques qui font de ce livre un kaléidoscope, que l’on ouvre sur la vie du grand saint. Ensuite, vient un chapitre sur les chasses et tirés princiers des Rothschild, dans leur domaine de Ferrières. Puis Revoil analyse le titillement cardiaque de l’ouverture de la chasse, parle des hardes de 500 têtes de daims dans le domaine royal de Saint Cloud, et termine sur la tragi-comédie des chasses patriotiques de septembre 1870, car il ne fallait pas laisser le gibier, bien français, aux troupes prussiennes. Le gibier fut bien tué, mais le Prussien n’occupa que la forêt… vide d’animaux. Le chapitre « Les animaux historiques » nous embarque sur une arche où se serrent Bucéphale, le cheval d‘Alexandre, Incitatus, le seul cheval élevé à la dignité de sénateur de l’Empire romain par la volonté de Caligula, le chien d’Ulysse et les sauveurs des égarés du mont Saint Bernard. Ainsi, hommes et bêtes sont bien embarqués dans la même nef. Les « Chasses enfantines » sont une suite de fables morales à destination d’un jeune public. Dans « Bourres de fusil », Revoil utilise la baguette du magicien pour bourrer le canon de son fusil d’histoires historico-héroïques. Ainsi, il nous apprend que Saint Hubert des Ardennes a remplacé Saint Germain, jusque-là protecteur des chasseurs, parce que la cour des Carolingiens quitta l’Ile de France pour les Ardennes et la vallée du Rhin. Il confirme la date de la translation des restes de Saint Hubert dans cette abbaye, le 3 novembre. Fort de ses compétences acquises dans le département des « Manuscrits » de la Bibliothèque Nationale, il pense que le fameux droit de suite, en chasse, prend ses racines dans le droit salique. Annotation importante, quand on connait l’intensité des débats législatifs lors du vote de la loi de 1844, et l’abondante jurisprudence qui en découle. Faire remonter ce droit aussi loin dans les brumes de l’histoire de France, en fait un texte que nulle constitution ou loi ne peut abolir. Il exhume aussi un article de la loi Gombette ou burgonde du 6e siècle, qui contraignait un voleur de chiens à payer une amende de 7 sols et… à embrasser, en signe d’humilité, le corps du délit sous la queue !

 

Une carrière d’éditeur

Après avoir été publié, Revoil devient éditeur. Il lance en 1867 le journal « La Chasse Illustrée », car il y voit une place à prendre aux côtés du « Journal des Chasseurs » qui s’essouffle. Ce sera un hebdomadaire in 8 folio, paraissant tous les samedis, au prix d’un abonnement annuel de 30 francs. Ce journal sera repris l’année suivante par Ernest Bellecroix, avec un développé plus long : « La Chasse illustrée, Journal des plaisirs de la ferme et du château », qui sera modifié ensuite en « Chasse Illustrée, Journal des Chasseurs et Vie à la campagne ». A la même époque, il est rédacteur en chef de la revue « La Chasse et la Pêche », gazette hebdomadaire qui parait durant 10 mois à cheval sur les années 1868/1869. Revoil est attentif à l’équilibre naturel. Il se révolte contre les ignares qui abattent les oiseaux de proie utiles. Ses textes ressuscitent maintes chasses traditionnelles. Il nous fait découvrir ce conservatoire technique local : les héronnières, issues du Moyen–Age dont celles du château d’Ecury, vers Châlons en Champagne, qui permettent le vol au faucon, ou bien l’agachon marseillais, palombière méridionale accrochée dans la garrigue. Sa chienne Chloé est juste une silhouette. Cependant, il se penche sur la condition des chiens par deux textes : « L’exposition universelle des chiens » en 1863, avec des illustrations d’Edouard Riou, et « L’Histoire physiologique et anecdotique des chiens de toute races », avec préface et post face de Dumas. C’est une encyclopédie du savoir de l’époque, illustrée de quarante-quatre bois de L. Wells. En clôture, une série d’anecdotes échelonnées depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque de Napoléon III. Le lecteur y découvre une réponse assez cinglante du Maréchal Vaillant à son compatriote dijonnais Nicolas Fétu, qui avait demandé le massacre… des chiens. Ainsi, Révoil savait allier l’érudition sur la chasse pour nous instruire, à la verve imaginative et faire rêver, à tout âge, de notre vie de chasseur. Il rassemble, dans un arc géographique, les chasses de toutes latitudes, et dans un arc historique, met en évidence la permanence de l’acte de chasse, depuis les Grecs jusqu’à ses contemporains. Chaque chasseur trouvera donc dans sa bibliographie le livre qui lui convient.

 

 

 

Extrait

 

Une chasse aux sangliers

 

C’était par une soirée de septembre, une soirée des laines de la Beauce, brûlante et sèche, et pour tous autres que les habitants du pays, suffocante et intolérable… Deux forêts s’étendaient, gigantesques, sur l’infini des plaines, et semblaient être les ombres de cet immense tableau. Elles n’étaient séparées à leurs pointes que par un champ de cent pas de largeur. A cet endroit, étaient assis deux chasseurs sur une touffe de bruyère, à la lisière de la forêt, qui pour eux se trouvait au midi, et dont le taillis leur procurait de l’ombre. L’un d’eux, fils du sol qu’il foulait à ses pieds, eut pu, comme une partie des habitants qui le cultivent, représenter le type des Gaulois, leurs ancêtres, chasseurs des forêts druidiques, que pour toujours et depuis longtemps, la cognée du bûcheron à jeter par terre… Son attirail de chasse se composait d’un carnier de fil, d’un coutelas et d’un énorme fusil double, de trois pieds et demi de canon au calibre proportionné. Son compagnon était la contrepartie du portrait que nous venons d’esquisser. Il était de très petite taille, mais bien fait ; sa figure était jolie, sa peau fine, ses yeux noirs et ses cheveux blonds artistement frisés s’échappaient en touffes soyeuses de son chapeau de latanier. Sa physionomie était pleine d’expression et de mobilité.

- Mon cher Paul, dit ce dernier à son ami, vas-tu me laisser longtemps dans cette fournaise ? Je crois vraiment que l’air de la forêt est encore plus étouffant que celui de la plaine ; tiens regarde, comme la chaleur m’a gercé la figure ;

- Eh ! mon pauvre Camille, je t’ai promis du gibier, mais non toutes tes aises. Libre à toi du reste d’aller te rafraîchir au soleil comme tu paraissais le désirer. En attendant, buvons un coup.  

Et tirant de son carnier une gourde aplatie, qui par conséquent tenait peu de place, il la déboucha et la tendit à son ami. Celui-ci eut à peine goûté le contenu qu’il l’éloigna aussitôt de ses lèvres.

- Pouah ! que c’est chaud et mauvais.

- Bois, malgré cela, d’ici à trois heures, tu ne trouveras pas d’autres rafraîchissements.

- Tu appelles cela un rafraîchissement, toi : du vin blanc chauffé et balloté depuis ce matin. Tu n’es vraiment pas délicat.

Cependant, la fatigue l’emportant sur le dégoût, il avala quelques gorgées en faisant la grimace.

- Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a…

Et ce disant, Paul ingurgitait la plus grande partie du liquide. Et il allait, par forme de péroraison, s’étendre sur une touffe de bruyère, quand son chien, beau griffon de la plus haute taille, se mit nez au vent et gronda sourdement.

- Qu’est-ce que c’est que cela, Nemrod ? Allons ma bonne bête, cherche !

Mais le bon chien ne bougea point ; il fit seulement entendre un aboiement étouffé que celui de l’autre chasseur répéta.

- Le père La Ramée nous amène un renard, c’est sûr ; le vieux madré est bien capable de nous le faire passer entre les jambes. Il sait que nous sommes ici et veut te faire tuer la bête afin de saigner ta bourse.

- A quoi vois-tu cela ?

- Je ne vois pas du tout cela, mais j’en devine une partie ; et quant au reste, ce qu’il y a de certain, c’est que mes gardes et leurs chiens mènent un gibier quelconque. Nemrod entend fort bien et avant cinq minutes tu entendras toi-même. 

Effectivement, les deux chasseurs ouïrent bientôt de faibles aboiements de chiens ; puis, le bruit devint plus fort et permit à Paul d’en distinguer le sens ; alors sa figure s’illumina d’espoir et d’anxiété. Il se jeta l’oreille contre terre afin de mieux entendre.

- Un loup, un loup, un sanglier peut-être, qu’en dis-tu, mon brave chien ?

Et le chien, la queue basse poussa un long aboiement.

- C’est bien, c’est bien ; à présent, tais-toi ou…

Et la menaçante crosse de fusil envoya tout tremblant le pauvre chien se coucher au pied d’un taillis. Paul, lui, écouta de nouveau.

- C’est un sanglier ! Camille, entends-tu, quels hurlements… Oh ! c’est un sanglier et même un vieux, un vieux routier, entends-tu ?

- Parbleu, j’entends des chiens aboyer, pas davantage.

Paul s’était levé rapidement et les premières bourres de son fusil enlevées avaient laissé le plomb couler à terre pour faire place à des balles que sa baguette de fer enfonçait à coups redoublées. Camille alors se disposa à imiter son camarade.

- Non pas, non pas, laisse le plomb… des balles par-dessus… Elles seront bien inoffensives sur la vieille couenne qui les recevra, mais ton plomb pourra aveugler la bête.

Il tira ensuite une laisse de sa carnassière et attacha les deux chiens au pied d’une cépée, les menaçant pour les empêcher d’aboyer.

- Et pourquoi attacher les chiens ?

- Parce que Nemrod irait se faire éventrer du premier coup, et que Slatonne se jetterait dans ses jambes ; or, il nous faudra tout de même avoir le pied aussi sûr que l’œil, camarade.

Ce disant, Paul ouvrit la crosse de son fusil, il en tira une forte baïonnette cambrée pour pouvoir suivre la courbure de la crosse qui lui servait d’étui, l’ajusta au bout de ses canons. Puis, il redressa le baudrier de son coutelas. Le bruit qui avait semblé faire un quart de cercle autour de nos chasseurs paraissait arriver directement à eux.

- Je savais bien que le père La Ramée nous amènerait la chasse ; et puis, c’est le plus court pour le gibier qui veut gagner l’autre forêt.

- Attention ! les voilà qui arrivent.

On entendait alors distinctement les aboiements des chiens, la voix plus lointaine des gardes et comme des coups de hache sur les jeunes chênes. En trois sauts, Paul s’élança au-devant de la bête ; celle-ci, sans se déranger, se précipita sur le nouvel assaillant ; mais les chiens, à la vue du maître, s’approchèrent davantage ; l’un s’élança pour lui saisir l’oreille, mais il ne rencontra que la défense de son ennemi, qui, le décousant, le jeta à trois pas ; après cet exploit, l’animal continua sa course vers celui qui lui barrait le passage.

- Tu as la peau trop dure pour qu’on te tire à plus de vingt pas. Toi, Camille, attention !

s’écria le chasseur avec le plus grand sang-froid du monde. Puis quand il jugea l’animal à portée, il fit feu : la balle alla frapper la défense du sanglier, qu’elle brisa ras la mâchoire, mais sans lui faire d’autre mal. La bête s’arrêta alors ; mais rendu plus furieuse que jamais du coup de fusil que lui tira à son tour Camille, elle se précipita plus rapide. Camille lâcha son second coup à une dizaine de pas sans autre résultat que d’aplatir sa balle sur le dos de l’ennemi, qu’il voulut éviter, en se jetant de côté lorsqu’il le vit tout près. Mais ses jambes ne purent d’un saut le dérober aux regards de son redoutable adversaire, qui, se détourna pour le poursuivre. Et qui l’eut bientôt atteint. D’un coup de boutoir, il le jeta par terre. Par bonheur, il ne lui fit pas grand mal ; mais s’acharnant sur le malheureux, la bête allait lui ouvrir la poitrine d’un coup de la défense qui lui restait, quand tout à coup, la baïonnette de Paul disparut tout entière dans son flanc. Le sanglier se retourna brusquement, et, du choc, cassa le fer qui resta dans la plaie. Il tenta un dernier effort pour se venger du nouvel assaillant, mais les chiens n’avaient pas plus tôt vu le chasseur se précipiter sur le sanglier, qu’ils s’étaient élancés et les deux plus hardis l’avaient coiffé de premier élan.

- Tenez bon mes braves, tenez bon !

Et s’approchant de l’animal du côté où sa balle l’avait désarmé, il lui donna le dernier coup en lui enfonçant le coutelas jusqu’au manche, au défaut de l’épaule…