Naissance d’un conflit ?
Rien ne va plus entre la ministre de tutelle de la chasse, Agnès Pannier-Runacher, et le président de la FNC. La décision ministérielle de restreindre, ou suspendre, la chasse de neuf espèces d’oiseaux, bien au-delà des recommandations scientifiques établies par les experts européens mandatés, marque une rupture profonde. Elle illustre une dérive idéologique et politicienne, où l'écologie devient un instrument de posture plus qu’un levier de gestion pragmatique. Le ton est donné : la ministre est accusée de vouloir « laisser une trace verte dans l’histoire au mépris des études scientifiques et du consensus européen » déplore la FNC. Mais ce conflit dépasse la simple question de la chasse : il incarne l’opposition entre deux visions du monde. D’un côté, une écologie centralisée, souvent perçue comme idéologique, portée par le gouvernement, et de l’autre, une chasse défendue comme une pratique ancrée dans les territoires, pilotée par des logiques de terrain, de gestion et de transmission. La virulence des propos du président de la FNC révèle une perte de confiance totale, et l’appel à l’unité des chasseurs laisse présager un bras de fer durable, dans lequel la chasse entend résister à ce qu’elle considère comme une entreprise de marginalisation.
La philosophie des associations anti-chasse
Les associations de protection de la nature ont progressivement élaboré une position nuancée sur la chasse, en fonction du type de gibier concerné. Leur opposition n’est donc pas uniforme, mais fondée sur des critères biologiques, éthiques et idéologiques. On peut synthétiser leur philosophie selon trois catégories : le grand gibier, le petit gibier sédentaire, et les oiseaux migrateurs.
- Concernant le grand gibier (cerf, sanglier, chevreuil), ces associations admettent désormais que la chasse est aujourd’hui indispensable. Les populations de ces espèces, en forte croissance dans certaines régions, posent de réels problèmes d'équilibre forestier, de sécurité routière et de dégâts agricoles. Une régulation humaine est donc inévitable, malgré le rêve insensé de certains écolos de confier cette tâche aux seuls prédateurs.
- Pour le petit gibier sédentaire (perdrix, faisan, lièvre, lapin), la position est plus réservée. Ces espèces, en déclin dans certaines zones, sont victimes de la disparition des habitats et de l’intensification agricole. Les anti-chasse estiment qu’une chasse responsable pourrait être envisageable, à condition de respecter les équilibres locaux et de limiter les lâchers d’animaux issus d’élevages. Mais, s'ils (les chasseurs) font des efforts pour le petit gibier de plaine, pourquoi pas, et en plus ça aidera les petits prédateurs à survivre...
- C’est donc avec les oiseaux migrateurs que l’opposition devient frontale. La logique ici est simple : on ne chasse pas ce que l’on ne maîtrise pas. Ces oiseaux, souvent en déclin, suivent des routes migratoires complexes, traversent de nombreux pays, et leur gestion ne peut se faire au niveau national. Les associations refusent donc qu’on les prélève à l’automne (en route vers l’hivernage) ou au printemps (vers les zones de reproduction). Pour elles, laisser ces espèces tranquilles est une condition non négociable. C’est cette vision qui, depuis plus de trente ans, alimente les tensions avec le monde de la chasse, qui y voit une idéologie radicale.
Tourterelle des bois : la FNC y croit-elle vraiment ?
La tourterelle des bois symbolise, à elle seule, les ambiguïtés internes du monde cynégétique face aux espèces menacées. Alors qu’elle est classée comme vulnérable sur la liste rouge de l’UICN et fait l’objet de débats au niveau européen, la FNC semble aujourd’hui émettre des réserves sur une éventuelle réouverture de sa chasse sous quota. Pourtant, le 4 mars dernier, la FNC écrivait sur son site qu’elle espérait une reprise encadrée, conditionnée à des quotas précis, et à une gestion adaptative. Ce revirement interroge. Est-ce un signe de résignation face à la disparition progressive de l’espèce sur les territoires français, ou un désaveu plus large de la politique actuelle, qui autorise symboliquement la chasse d’une espèce dont les effectifs sont devenus anecdotiques ? Pour le président de la FNC, cette décision ressemble davantage à une « fausse victoire », une manœuvre politique destinée à désamorcer les critiques tout en réduisant, de fait, les prélèvements à néant. Il dénonce une mesure de façade, sans portée réelle, puisque les chasseurs ne croisent presque plus de tourterelles des bois. Ce cas met en lumière un malaise stratégique. La FNC, engagée dans une défense générale du droit de chasser, peine à concilier ce combat avec les réalités écologiques d’espèces fragilisées. Entre défense symbolique d’une pratique et lucidité sur l’état des populations, le message devient flou. En refusant de se réjouir d’une réouverture pourtant longtemps réclamée, la FNC semble reconnaître, à demi-mot, que certaines chasses ne sont plus viables aujourd’hui. Ce paradoxe révèle une mutation forcée du monde cynégétique, contraint de redéfinir ses priorités à l’aune d’un environnement en crise, où la tradition ne suffit plus à justifier tous les usages.