A la ville, ce sont les activités d’érudition historique. Il publie sur les célébrités locales : Lainé, homme politique de la Restauration, Montesquieu, Montaigne… et tout ceci le conduit à être élu membre de l‘Académie Nationale des Sciences, Arts et Lettres, de Bordeaux. Dans l’autre plateau de la balance, il y met son ouvrage dédié à la chasse. Toute son existence bordelaise est marquée de points de repères littéraires : 1897, « Ellébore » avec une lettre-préface de Charles Vincent, prix Montyon décerné par l’Académie Française. En 1901, pour son ouvrage « A l’usage de mes dauphins », il est membre de la très officielle Société des Gens de Lettres. Emile Caussin de Perceval est un écrivain spirituel, intéressant par sa palette d’écriture, et beaucoup de ses publications parurent dans « La revue Philoménique de Bordeaux ». Cette institution, créée en 1808, tenait de l’école–cours du soir et de l’université pour tous, avec ses 4000 auditeurs des deux sexes. Il fait œuvre d’érudit qui n’a rien négligé pour éclairer jusque dans les moindres détails les textes oubliés, et les lettres où l’on respire avec délices les parfums des anciens temps. On retrouve ces caractéristiques dans son unique ouvrage sur la chasse et les chasseurs…

 

Un parrain prestigieux

Dans les années 1889, il avait envoyé des articles à la « Chasse Illustrée ». Dans les numéros relevés, les thèmes sont intriguant : la chasse au faucon, qui serait un retour sur la matière étudiée par ses aïeux, où il parle ainsi de la Perse : « plaine rase… un vrai tableau de Fromentin… », puis un autre sur la chasse du buffle dans les marais d‘Asie… A-t-il fréquenté, en sa jeunesse, ces territoires ? Et plus surprenant encore, le passage qu’il intitule : « la chasse d’à côté : le chasseur de serpent ». Il y voit une lutte dont les vrais dangers accroissent le charme. Ainsi, à raison de 200 serpents par an, le brave chasseur de serpents a purgé, en 30 ans, la campagne de 6000 animaux dangereux aux hommes et aux chiens. Il est vrai qu’à cette époque, l’aspic était un nuisible. Mais attention, il faut le lire précautionneusement. L’auteur se présente fort modestement, comme un invité. « Déduits de chasse » est le renvoi à l’action même du traqueur de gibier qu’il piste depuis le gite jusqu’à sa conclusion heureuse ou inaboutie. La préface d’Emile de La Besge, maître ès vènerie, est très fouillée, car : « le châtelain de Persac est choyé de tous ses confrères, dans les réunions cynégétiques dont il est l’hôte toujours désiré, et dont il reste naturellement l‘oracle, à mesure que les générations se succèdent autour de lui. Président d’honneur de tous les jurys, il sait, par son aménité, par sa courtoisie autant que par ses connaissances si sûres, par son autorité et sa longue expérience aussi, imposer ses jugements sans appel… C’est le doyen des veneurs, c’est le maître des maîtres, qu’il s’agisse de vènerie ou d’élevage ». Voilà ce que l’on peut lire dans l’annuaire de vènerie de 1904. Aussi, obtenir une préface d’une telle autorité, c’est entrer, adoubé, dans la carrière. Mais, pas d’éclaircissement sur les liens amicaux, familiaux ou autres, entre La Besge et Perceval. Sous l’intitulé « Dernier propos », Perceval avoue que La Besge et lui se rencontrèrent lors de réunions familiales. D’ailleurs, il le remercie « d’avoir bien voulu apposer son nom sur ce livre, et ainsi le consacrer et lui donner sa seule valeur, comme il en est de ces parchemins qui, aux yeux du chercheur, ne valent que par le sceau de celui qui les timbra ». Le livre pourrait ainsi se refermer, mais il est grand temps de présenter ces « Déduits de chasse » publiés en 1898 par la librairie cynégétique Pairault.

 

Un classique !   

Ce sont donc quarante nouvelles, regroupées sous les chapitres suivants : « Dans le train », « En découplant Fusillo », « Cherche et apporte », « Paysages » … L’auteur nous raconte ce qu’il a vécu, et surtout ce qu’il a vu. Qui d’entre nous ne se retrouve pas dans ces pages ? Veneur ou porteur de fusil y sont à l’aise, tant dans leurs bottes que dans leurs guêtres, et pour classer Perceval dans la rubrique « écrivain cynégétique », nous allons appliquer la grille d‘évaluation habituelle : son amour du chien et son rapport à la nature. Perceval se classe dans les amoureux de la chasse, pour qui la poursuite l’emporte sur la capture. « On ne prit pas ce jour-là, et cependant, ce fut une chasse de rêve… Chasser, c’est être avec ses chiens, immergé dans la nature du Médoc landais ou de la Sologne, aux biotopes si proches… ». C’est donc dans ces décors que l’on participe au duel entre l’animal de chasse et les chiens. « Stèle aux héros », voilà le titre de l’un des chapitres dédiés aux chiens : « Pauvres héros de nos chasses, pauvres héros inconnus de chaque jour, pleurés seulement par quelques-uns, par quelque maître qui présida à votre naissance, quelque piqueux, brave cœur, qui vous soigna, combattit avec vous, simples soldats, sans récompense, sans honneur qu’une soupe, qu’une caresse par ci par là, qui n’avez que l’instinct pour guide, lequel donne courage, loyauté, désintéressement, et qui tombez, héroïques pour le plaisir du maître, esclaves du devoir, esclaves de l’amitié… Pauvres héros, est-il beaucoup d’hommes qui pourraient acheter à ce prix la déchéance de cet instinct ?». Parmi eux, se trouve Finaud, qui n’est, en portant ce nom si plébéien, ni chien de grand pied, ni chien de haut lignage. Finaud n’est qu’un basset noir et feu, un peu musard, un peu chapardeur aussi, et… mauvaise tête… Tout d’abord, par trois fois, il fit cinquante kilomètres afin de retrouver son ancien maître. Brave Finaud ! Il valait bien dix chiens, pour le moins, à ses moments de zèle. Lanceur comme pas un, le cuir insensible aux épines, infatigable, un nez divin… ». En face, la brutalité du sanglier : « la lourde bête renâcle un instant, puis, la meute au jarret, fait trois pas, et soudain, l’œil en feu, la gueule béante, les quatre pieds réunis dans une détente de tous ses muscles, se rue, sus au rouge. Tremblement du sol, éclaboussement, chaleur d’haleine puante, et puis, à bout portant, une flamme qui fuse, un coup sec… Dans la fumée, l’homme seul, debout, un peu pâle, la masse noire aux pieds, geignant la mort… ». Quelle magnifique description d’un ferme de sanglier, texte ramassé comme les notes que prenait Perceval sur les manchettes de ses chemises, à défaut de calepin encombrant la main de ce journaliste éphémère. Ses tissus amidonnés servaient de pense-bête, sous réserve d’une relecture avant lavage !

 

Coup d’œil dans le quêté

Lors d‘une chasse au cerf : « Rarement, spectacle fut à la fois plus gracieux, plus comique, plus intéressant aussi. Quatre biches se levèrent au nez des chiens, un daguet et un grand cerf… Les biches, légères au moins de corps, vraies clownesses, l’œil étonné, l’oreille tendue, tourbillonnaient, sautaient, bondissaient sur place, pour reconnaître l’ennemi en une détente des quatre pieds. On les voyait nettement, presque entières, à plus de deux mètres du sol, au-dessus des pins… ». Même la chasse sous la pluie n‘altère pas sa bonne humeur : « …pas la pluie diluvienne, à seaux, qui semble dire voilà le paquet et séchez-vous, mais une petite pluie finette, insidieuse, insinuante… Alors, elle a pris possession de vous, de la cape qui fait éponge et un filtre de votre habit… Vous n’avez plus qu’à vous laisser fondre… et faire un souvenir amusant, comme une impression d’aquarium ». Mais, il dénonce aussi, à juste titre, les suiveurs qui bloquent l‘animal, mal moderne déjà présent : « A chaque fois que l‘animal se présente, un type est là qui lève les bras, lequel joint au cycliste sot, au cavalier en ballade venu de la ville voisine, empêtre les piqueux, ahurit la bête et les chiens, brouille tout, et jette le désarroi dans l’attaque… ». Ainsi, Perceval nous raconte ce qu’il a vu, sans une touche de chic ou de guindé, au fil de sa plume pleine de verve et de poésie. Personne ne cherche plus à identifier les lieux ou les personnages qui nous sont cependant si proches, car tirés du monde permanent de la chasse. Emile Caussin de Perceval doit être lu, tout aussi bien par les tireurs que les veneurs. Transformons donc son : « et hop, à cheval, comme au paradis ! » en un « et hop, en lecture, comme au paradis ! ».

 

 

Extrait

La palombière

 

Que représente la palombière dans l’univers cynégétique ?

De loin, on dirait quelque blockhaus, avec ses meurtrières, à peine visibles dans l’enchevêtrement des branches. Et de fait, c’est bien un étrange engin de guerre que cette cabane, avec ses entours, machinés, truqués où tout est prévu, combiné ; filets, ficelles, appeaux, terrain, ressort, palettes et ces parois d’innocents fougères, cette toiture de bruyère, le tout tel qu’un amas de brousses masquant l’ennemi aux regards de la palombe, méfiante pourtant, mais que tant d’art, tant de traîtrise plutôt, trouve en défaut. Au-devant de l’entrée est une palissade et le chasseur derrière, tout le jour, de l’aube à la nuit close, interroge l‘espace… C’est une grâce d’état, les vocations ne se discutent pas. On nait chasseur de palombes. Il en est de père en fils depuis des générations. De fin septembre au 11 Novembre, de fin janvier à la mi-mars, sans manquer un jour, quelque temps qu’il fasse, méditons ça, le palombier se rend au poste, le plus souvent une douzaine d’appauts (orthographe du texte original) sur la barre, avec le sac et le fusil, sa cage d’oiseleur sur le dos et en cet accoutrement avec son béret sur l’oreille, sa démarche légère de gascon, quand il entre au bois, ou bien en sort, a l’air de quelque fauconnier de jadis et fleure comme un petit parfum de chasse antique, non sans charme. De fait, elle est vieille cette chasse en Gascogne. Les pères de nos grands-pères l’ont passionnément cultivée, telle quelle, avec plus ou moins de succès peut-être, étant moins nombreux à chasser… Le brave palombier est donc là depuis le matin, veillant au grain, l’œil ouvert, parcourant sans cesse le grand livre du ciel, où il doit lire couramment. Du bout d’une longue allée couverte, au milieu des bois solitaires, on aperçoit cet isolé forcé, de l’ordre de Saint Hubert. Un coup de sifflet de nous, un cri de lui, et nous pouvons avancer. S’il y avait des palombes à l’entour, il eut alors sifflé et nous nous serions arrêtés. Le moindre son des voix les épouvante, alors que le sifflement leur est indifférent. Donc, arrivés à la cabane, on interroge le palombier. « Vol posé à telle heure, parti sans descendre à terre… Un autre bien travaillé, pris tant d’oiseaux… Une palombe tuée au fusil… Ça passe aujourd’hui, attendons… ». Et assis, le nez en l’air, nous voyons d‘abord la girouette, petite plume virant au bout d‘un bâton. Elle pique au nord, bon temps ! ». Tout bien vu, nous n’avons plus qu‘à attendre.

 

Savoir attendre…

C’est le grand secret de tout affût. On peut, ou on ne peut pas, mais on ne réussira que si l’on sait attendre. D’ailleurs, il est, pour tromper le temps, tant de manières. Bavarder d’abord, et manger, boire, dormir… On ne chôme guère ! Tout à coup, il en est toujours ainsi, sans crier gare, le palombier s’accroupit, l’œil exorbité, la main crispée sur son faisceau de ficelles. « En voilà ! ». D’instinct, vous vous rejetez en arrière, dissimulé. Pas un mouvement, pas un bruit. C‘est le moment solennel ! On entend le frôlement des ficelles, on entend les appauts là-haut, qui, tirés, donnent leurs grands coups d’ailes, simulant des palombes posées. Et les palombes sauvages, en un vol, pressées, innombrables, détournées, piquent sur vous. On entend comme un bruit d’avalanche, cent, deux cents, six cents battements d’ailes dans l’air. On voit, par les interstices du toit, de grandes ombres qui randonnent, des ailes tendues qui planent. Et puis, d’un seul coup, en un claquement de mille fouets, tout ça s’abat sur le sommet des chênes, dans un craquement de branches, un crépitement de brindilles qui tombent. « Que le vôôle, que le vôôle ! » comme on dit là-bas. Alors, pâle, très ému, mais de sang-froid, le palombier commence à travailler ses bêtes. L’appaut du sol de la cabane est d’abord manœuvré. Régulièrement enlevé, il tombe en cadence. On jurerait une palombe séduite par l’appât du grain, sensible au roucoulement exécuté par le chasseur, imité à s’y méprendre. Les palombes, en haut, s’il ne fait pas trop de vent, s’il n‘y a pas trop de glands, si quelque voisine ne volète pas à ce moment, si quelque branche ne casse pas, commencent, une par une, à décrire quelques grands ronds. Méfiantes, elles reconnaissent les lieux, regardent curieuses l’appaut du sol… C’est le moment, pour les « poulets » d’entrer en scène. Par un fossé dissimulé, on les dirige d’une badine vers le sol. Les affamés commencent à picorer le grain, petit, clairsemé afin qu’il fasse plus long usage. Tout dans cette chasse est calculé. Les sauvages, intriguées, aussi plus rassurées, s’aventurent de plus en plus bas… Du toit de la cabane même, on prendrait celles-ci par les pattes…

 

Instant suprême !

Et le joueur de flûte fait entendre sa ritournelle. Pour parler clair, le palombier a pris sa palombe musicienne et lui fait exécuter sa plus suggestive symphonie. Ce sont des « ra », des « fla », de tentantes objurgations d’ailes, à se poser, à prendre place, de pressantes incitations à s’installer sans plus tarder, à jouir de cette bonne aubaine en si aimable compagnie. C’est un jeune, en général, qui, dans une jolie courbe de vol, se décide enfin à répondre à la tentation. D’un coup, brusquement, il saute sur le sol, regarde la tête dressée, prêt à s’envoler. Mais voyant les affamées à côté, qui se gavent en sécurité, il commence à baisser le bec, cherche les grains, goûte, les trouve bons et le voilà qui se met à les becqueter à son tour, et sert d’appaut, lui aussi. Dans la cabane, ai-je besoin d’ajouter qu’on suit, pantelant, le débat ! Et voilà qu’une autre et une autre encore rasent le sol, se posent ou vont piéter près des bords, sur le filet même. Mais, toujours sur le qui-vive, piquant un grain, levant la tête quelquefois, elles repartent là-haut, prises de panique. Alors, il faut rejouer de l’appaut… En cette seconde, le palombier n’est plus un homme. C’est une vibration. Tel un vrai chasseur de palombes, il a conscience d‘être le maître. De son seul fait tout dépend. Attendre trop, ne pas attendre ? Le regard enfiévré, la main crispée sur la poignée de pantes, il attend la seconde suprême. Les fusils sont braqués… Par les interstices, chacun vise la sienne. « Une, deux, ça y est ? ». A voix étouffée « Attendez, il en descend, il en descend encore… » Et l’on attend. Tout à coup, un sifflement d’ailes, aigu, sinistre, bien connu, trop connu, suivi d’un tonnerre de battements affolés. D’instinct, prompt comme l‘éclair avant même qu’on ait pu tirer, le palombier s’est replié d’un bond en arrière, son dos a marqué sur la terre, et le filet s’est aplati, juste à temps pour enserrer un joli lot de victimes, pendant que s’enfuit l’épervier maudit, cause de cette alarme chaude. Alors on désentortille les palombes, pauvres palombes haletantes sous le filet, voletant éplorées, qui sautillent garrotées. « Dans le sac, à une autre ! à une autre ! ». On ramasse le duvet épars, on retend les filets, et l‘on se remet au poste dans l’espoir que le butin sera prochain. C’est ainsi que, depuis cinq ans notre palombier prend, chaque année, quatre cents oiseaux à la seule saison d’automne. Voilà ce qu’est cette chasse, sans la vanter, sans l’éreinter, bonne aux vieillards, bonne aux enfants, et que les femmes peuvent sans fatigue pratiquer. Dans la cabane, où l’on fait salon volontiers, combien de nœuds se sont noués, j’aime à croire indénouables…