Passionné de tennis, lecteur infatigable, écrivain à ses heures, il appartenait à une génération qui valorisait l’effort, l’endurance et le lien avec le réel. La chasse répondait parfaitement à cette exigence. Ce n’était pas pour lui un simple loisir mondain, mais un prolongement naturel de son tempérament : organisé, patient, précis. La solitude du chasseur rejoignait chez lui la solitude du décideur, du stratège. Son goût pour la chasse n’était donc pas un caprice ou une tradition apprise, mais une véritable composante identitaire. Ce mélange unique d’intellect et de tradition, de rationalité et de passion, d’autorité et de raffinement a façonné la personnalité de Valéry Giscard d’Estaing. Il représentait cette France qui voulait s’inscrire dans la modernité sans renier ses racines. Cela explique pourquoi il voyait dans certaines pratiques ancestrales, comme la chasse ou les chasses présidentielles, non pas des vestiges du passé, mais des outils au service du pouvoir, du rayonnement culturel et de la continuité républicaine. Ainsi, on ne peut comprendre Giscard que si l’on saisit cette tension permanente entre la rigueur du technocrate et les élans aristocratiques du passionné, entre le président réformateur et l’homme des forêts.

 

Une passion viscérale pour la chasse

Chez Valéry Giscard d’Estaing, la chasse n’était ni une distraction mondaine ni une simple tradition héritée : c’était une passion profonde, viscérale, presque existentielle. Il affirmait souvent que la chasse était pour lui un sport national, plus populaire encore que le football, et la considérait comme une école de patience, de précision, de respect et de maîtrise de soi. Il y voyait un art de vivre, une manière de se mesurer au monde sauvage, d’éprouver la nature dans ce qu’elle a de plus brut, de plus vrai. La chasse représentait aussi un moment de solitude choisie, une parenthèse de silence dans une vie politique dominée par la parole, la stratégie et la représentation. La chasse, il la découvre très jeune grâce à sa belle-famille, avant d’y consacrer une partie importante de son temps libre. À partir de là, elle ne le quittera plus. Il en fera un pilier de sa vie privée et même de sa pratique du pouvoir. À l’Élysée, il n’hésite pas à quitter Paris en hélicoptère pour aller tirer à l’approche dans les forêts de Chambord, parfois seul, dormant sur un lit de camp dans un mirador. Ces moments d’évasion répondaient à une quête d’authenticité. Le chasseur Giscard était méthodique, exigeant, et veillait toujours à la qualité de l’organisation, du tableau, et même à la tenue des rabatteurs. Mais sa passion ne se limitait pas à la chasse française. C’est en Afrique que Giscard vécut certaines de ses expériences les plus marquantes. Il y menait de longues expéditions, parfois avec des chefs d’État africains, parfois dans une forme de retraite personnelle. Il a chassé au Cameroun, au Gabon, en Tanzanie, au Kenya, et même dans des contrées plus lointaines comme le Tibet ou la Pologne. Sa réputation était telle qu’il figure dans le prestigieux « Rowland Ward », réservé aux grands chasseurs. Ces chasses africaines, souvent tenues à l’écart du regard médiatique, étaient pour lui des expériences existentielles. Il confiait avoir « vu la planète telle qu’elle devait être depuis les origines ». Ce lien intime avec la nature sauvage nourrissait sa philosophie personnelle et politique. La chasse lui apportait un rapport sensoriel, très éloigné des abstractions administratives.

 

Rambouillet et Chambord...

Dans la vie cynégétique de Valéry Giscard d’Estaing, deux territoires occupèrent une place centrale : les grands domaines français chargés d’histoire (notamment Rambouillet et Chambord) et l’Afrique. Ces deux univers, très différents, reflétaient deux dimensions complémentaires de sa pratique de la chasse : d’un côté, la tradition monarchique et républicaine française, codifiée et cérémonielle, et de l’autre, l’aventure solitaire, l’épreuve de la nature brute, parfois jusqu’à l’excès. À Rambouillet, Giscard relance les fameuses chasses présidentielles, qu’il organise avec un soin méticuleux. Elles ont lieu trois ou quatre fois par an, orchestrées avec faste : les rabatteurs sont habillés en tenue blanche, cravate impeccable, les invités choisis parmi les élites politiques, économiques et internationales. On y croise le président du Conseil constitutionnel, des chefs d’entreprise, des membres de la royauté étrangère comme le duc d’Édimbourg ou Juan Carlos d’Espagne. Ces chasses ne sont pas de simples divertissements, elles deviennent un outil diplomatique à part entière, où se nouent des alliances, où se cultivent les réseaux, où l’image de la France se met en scène. Giscard en fait un prolongement du pouvoir exécutif, un théâtre d’influence où chaque battue, chaque tableau, chaque toast participe à une forme de communication stratégique. Et puis il y a Chambord, domaine royal, encore plus emblématique. Giscard y possède une résidence à proximité et s’y rend très souvent. Il n’est pas rare qu’il parte de l’Élysée, traverse la Sologne en hélicoptère, pour aller chasser seul, à l’approche. À Chambord, il privilégie le cerf et le sanglier, veillant scrupuleusement à l’équilibre du gibier. En Afrique, c’est une toute autre dimension. Il chasse le gros gibier : éléphants, buffles, lions parfois. Il est difficile de savoir combien de safaris il a réellement entrepris, tant certains furent menés dans la plus grande discrétion. Il y a pourtant une constante : que ce soit au Gabon, en Centrafrique, en Tanzanie ou au Kenya, ses hôtes lui offraient ces chasses comme des présents diplomatiques. L’un de ces cadeaux, reçu de Jean-Bedel Bokassa (une plaquette de diamants bruts, sans grande valeur cependant avant d’être taillés), a d’ailleurs coûté cher à son image, éclaboussant la fin de son mandat. Ainsi, que ce soit dans les forêts d’Europe ou les savanes africaines, la chasse fut, pour Valéry Giscard d’Estaing, bien plus qu’un loisir : un art de vivre, un acte politique, une quête personnelle pour un Président de la République à la fois stratège, mais aussi rêveur solitaire en quête de silence, de nature et de vérité.