Je participe aux battues de grand gibier depuis 4 ans. Lorsque j'ai commencé, je n'avais que mon vieux calibre 12 magnum, et quelques Brenneke qui ont envoyé ad patres quelques cochons. Chance du débutant ? Alors, je suis monté en grade au sein de l’équipe, et suis passé des postes peu enviables de « Couillonville » aux postes de confiance…

 

Quand mon oncle, bien âgé, a arrêté la chasse, j’ai hérité du top : une carabine 300 WM, équipée d'une sorte de point rouge qui datait de Mathusalem… Premier cochon, raté ! Deuxième, encore raté. Ce bidule qui fait office de point rouge doit être déréglé… Troisième cochon, toujours raté.

- Tu es trahi par la mécanique moderne, me dit en se poilant mon chef de battue. J'ai donc enlevé illico l’inutile accessoire, et retrouvé ainsi la visée directe qui m’est plus familière. Quatrième cochon, enfin par terre. Il était petit, mais bon, ça m'a permis d'éviter la correctionnelle… c'est à dire de retrouver les postes de « Couillonville » ! Ça, c'est pour l'historique…

Maintenant le contexte de la fameuse battue… Je suis placé « aux mines ». Il ne faut pas penser que cette dénomination du poste fait référence à une quelconque extraction de matière. Ça a plutôt à voir avec le fait que les bêtes noires se prennent régulièrement de bonnes « mines » en passant par-là… Bref, le poste est bon. Devant moi, au loin les garrigues, puis la colline. Ensuite, en contre bas, il y a quatre pieds de vignes, plus près des canisses, et dans mon dos des roselières plus épaisses qui jouxtent le canal de la plaine. Une belle menée résonne au loin… Il doit bien avoir 5 minutes d'avance le bougre. Je ne l'entends pas descendre de la colline, mais en revanche, quand il franchit les canisses, là, je l'entends bien. Ça ne craque pas, ça explose de bruit ! Il sort des canisses, et arrive droit vers moi. C’est un monstre, un âne ! J'attends, j'attends encore… Alain m'a dit que la coulée se trouve juste entre les deux arbres, là où je suis posté… Je lève la carabine… Avance encore un peu… encore un peu ! Il est pleine face… Pour un âne, c'est un âne ! A 25 mètres, il tombe net, les pattes de devant écartées, comme quand on les met en place pour la photo… La balle l’a atomisé… Tu parles !

Aussitôt couché, aussitôt relevé, balle d’apophyse ? En tous cas, je n’ai même pas eu le temps de doubler quand il était couché. Maintenant, il charge droit, furieux. La seconde balle le laboure sur le côté. Et merde…

Je fais un, puis deux pas sur le côté, et ne sais pas du tout où passe la troisième balle. D’ailleurs je ne suis pas sûr d’avoir seulement visé. J’ai envoyé dans le tas, la peur surement… Sur le coup il file quelques mètres. Il est maintenant de profil… Je vois un gros trou derrière l'épaule, bien rouge, mais le sang ne gicle pas encore… Il charge une deuxième fois, passe juste à côté. Il fait alors demi-tour, essaie de me bousculer et de me faire tomber… Comme je n’ai pas eu le temps de recharger, ni même de saisir le couteau dans ma poche, j'ai alors le réflexe idiot de lui mettre le canon de la carabine dans la gueule… Et je pousse, comme lui, mais à contre sens… Ça l'occupe trois ou quatre secondes, pas plus, avant qu’il ne se décide enfin à filer… Ouf !

Mais il n’est pas allé bien loin… Il fait demi-tour et re-charge de plus belle. Il a dû comprendre, dans sa tête de cochon, qu’à ce petit jeu de pousse-pousse, il a une chance de se venger. Il se retrouve donc une deuxième fois avec la quasi-totalité du canon au fond de la gueule, ce qui ne l’empêche pas maintenant de viser ma main… Il a des grès bien longs, des défenses qui jouent des castagnettes et il bave, il bave… La mousse coule littéralement sur le canon. Soudain, il me semble entendre un crissement lugubre au niveau de la sous-garde de la carabine. Je me dis que je suis bon… Il va m’envoyer rejoindre mes ancêtres… Mais, et ça lui prend d’un coup, il lâche le canon et file droit devant, bien droit, comme si de rien… Quant à moi, médusé, je fais quelques mètres dans la direction de fuite, mais ne vois aucune goutte de sang ! Deux minutes plus tard, les chiens sont là, et filent droit, sans hésitation… J’appelle les deux traqueurs :

- Ils sont au ferme, ils sont au ferme, à 200 mètres. Vite, les chiens vont se faire écharper !

Sur la balance, le curseur indiqua 85 kilos. Le sanglier avait une vieille blessure à la patte arrière, une blessure type collision, avec fracture de l’os qui a fini par se ressouder. Sûrement pour cela qu'il était particulièrement hargneux. Pourtant, je ne l'ai pas vu boiter, mais il en avait gardé un sacré caractère de cochon ! Je garde de ce sanglier un souvenir fortement ancré dans ma mémoire, et… sur ma carabine. Quant aux chiens, un seul d’entre eux a dû être recousu, sans gravité. Pour la petite histoire, le premier traqueur rendu sur les lieux s’est fait fortement bouler cul par-dessus tête. Il n’a pas eu la présence d’esprit de mettre le canon de sa carabine dans la gorge du cochon… Au rendez-vous, si les collègues de battue étaient contents d’avoir enfin oublié Fanny, il m’a juste dit :

- Jean-Paul, il va falloir que tu changes tes balles, sinon la prochaine fois on te remet à « Couillonville » !

 

 

L’auteur de ce récit a édité un roman de chasse « Toine des garrigues ». Pour recevoir un livre dédicacé, vous pouvez le contacter au 06 81 86 59 60 ou  par courriel à :  jean-paul.cappy@orange.fr