Le 7 novembre 1856, la journée débute aux premières lueurs de l’aube. Le comte de Persigny, ministre de l’Intérieur et proche du couple impérial, note dans ses rapports l’enthousiasme manifeste de Napoléon III. Contrairement à l’image parfois véhiculée d’un empereur distant ou rêveur, il se montre ce jour-là concentré, vif, et pleinement impliqué dans l’action. Pour l’occasion, il arbore un uniforme de chasse sobre mais élégant : une redingote verte aux parements noirs, des bottes hautes, et un fusil Lefaucheux à canons juxtaposés, équipé du système de cartouches à broche, une avancée technologique qu’il appréciait particulièrement. Grand amateur d’armes à feu modernes, Napoléon III suivait de près les innovations en matière d’armement, tant dans le domaine de la chasse que dans celui de l’armée. C’est sous son règne, d’ailleurs, que fut adopté le célèbre fusil Chassepot, illustrant sa volonté de moderniser l’équipement militaire français. La battue avait été préparée avec soin. Les rabatteurs, disséminés en bordure des allées forestières, poussaient progressivement le gibier vers les tireurs. L’empereur, placé à un carrefour stratégique dans une clairière, attendait patiemment, son fusil en main. Il n’était pas un chasseur instinctif, mais précis et méthodique. Son approche tenait presque de la science : il observait les déplacements du gibier, analysait le terrain, évaluait la distance avant de tirer. Vers dix heures, un grand cerf surgit à environ soixante mètres. Napoléon III épaula calmement, visa, et tira. L’animal, touché au flanc, chancela, puis tenta de fuir. L’empereur, sans s’émouvoir, fit signe à l’un des gardes, et s’engagea à pied dans les broussailles pour suivre la piste. Quelques centaines de mètres plus loin, il retrouva le cerf couché, et l’acheva d’un second tir, net et silencieux. Le comte Fleury, aide de camp de l’empereur, rapporte l’épisode dans une lettre adressée à un confrère : « Sa Majesté, d’une main assurée, tira le second coup sans faire bouger une feuille alentour ».
La chasse, outil politique...
Durant cette journée, Napoléon III abattit deux cerfs, un sanglier, et plusieurs chevreuils. Mais plus que le nombre, c’est la manière qui comptait à ses yeux. Le respect du rituel, l’élégance du geste, et l’observation du comportement animal faisaient partie intégrante de son expérience cynégétique. Il voyait la chasse comme une pratique noble, exigeant rigueur, discrétion et sens de l’harmonie avec la nature. Dans cette optique, il fit moderniser les infrastructures de la vénerie impériale à Compiègne : nouvelles routes forestières, loges de chasse en style néo-gothique, amélioration des chenils et des écuries. Mais la chasse, sous le Second Empire, ne se limitait pas à une passion personnelle. Elle constituait aussi un outil politique, habilement intégré à la mise en scène du pouvoir impérial. En conviant des hauts fonctionnaires, des diplomates étrangers, des artistes et des scientifiques aux chasses de Compiègne, Napoléon III consolidait les liens entre la cour et les élites du pays, tout en cultivant une image de souverain actif, proche des traditions monarchiques et soucieux du prestige national. La chasse devenait alors un théâtre où se jouaient les équilibres du régime, dans une atmosphère à la fois détendue et codifiée. L’empereur portait un intérêt particulier aux innovations liées à la chasse. Il suivait de près les progrès dans le domaine des armes, des optiques de visée, des systèmes de percussion, et de la balistique. Cette curiosité, alliée à sa volonté de modernisation, participait d’un profil d’homme d’État à la fois attaché à l’héritage aristocratique et tourné vers l’avenir.
Honneurs et traditions...
À l’issue de la journée, comme le voulait l’étiquette, le tableau de chasse fut dressé dans la cour du château. Les pièces de gibier étaient soigneusement alignées par espèce, les chasseurs rassemblés pour admirer les trophées du jour. Napoléon III, fidèle à son caractère réservé, ne prenait pas part aux démonstrations triomphantes. Il observait en silence, saluait les participants, et félicitait les tireurs d’un mot bref, empreint d’une dignité toute impériale. Dans les années suivantes, l’empereur poursuivit ses campagnes de chasse dans d’autres domaines prestigieux comme Fontainebleau ou Rambouillet. Les journaux officiels ne manquaient pas de relater ces événements, soulignant tantôt la précision de son tir, tantôt son amour des sciences naturelles. Même après sa chute en 1870 et son exil en Angleterre, il continua à chasser, malgré l’affaiblissement progressif de sa santé. La journée du 7 novembre 1856, dans la forêt de Compiègne, reste donc un épisode emblématique de ce qu’était la chasse pour Napoléon III : un art de vivre, un rituel hérité de la monarchie, une passion personnelle portée par un goût sincère pour la nature et les progrès techniques, mais aussi un outil habilement utilisé pour renforcer son autorité et façonner l’image du pouvoir impérial.