A l’époque, pas de route percée, mais de mauvais chemins bordés de brandes d’ajoncs qui, coupées, pourrissaient sur place. Aussi, il fallait des chiens requérants, de grande vigueur, et ne craignant pas le piquant. Avec ses amis La Débutrie, La Porte du Theil de Forges, de Nieul, Cressac, de Sévelinges, propriétaire du château de Touffou et son frère, tous regroupés dans la société de Moulière, il prend 20 cerfs et 15 chevreuils par saison. Il court le loup sur la Braconne, forêt proche d’Angoulême. La vie du veneur n’est pas une sinécure : « Tous les lundi et jeudi, j’étais à cheval à 5 h du matin. Je franchissais les 40 km en 2 h 30. Je déjeunais, prenais mes chiens de rapprocher, lançais mon cerf, le prenais, puis reprenant le chemin qui m’avait conduit le matin, je revenais dîner avec ma femme et mes enfants. Il m’arrivait de faire ce petit manège des hivers entiers » disait-il. C’est modestement ce que La Besge nomme « des chasses que l’on peut faire en pantoufles, entre son déjeuner et son dîner, et sont bonnes surtout pour les mois d’hiver où les grands débucher sont impossibles ». Sa meute de 18 chiens grimpait dans un grand break de chasse fermé. Attelé de deux jolis postiers, il couvrait 12 km par heure. Ainsi, nourriture pour chiens, bagages, sellerie, suivaient les cavaliers qui conduisaient, en plus un cheval en main. En effet, les autres chasses se faisaient en déplacement dans cette France où le patois est quasi incompréhensible.

 

Les chiens du Haut Poitou

Pour toute nourriture, les veneurs devaient se satisfaire de poulets étiques, de pain de seigle et de vin du bas Limousin, transporté à dos de mulet dans des peaux de boucs et de chèvres, ce qui leur donnait le goût que l’on peut imaginer. Pour lit, ils disposaient d’une espèce de couche qui leur semblait tellement propre qu’ils dormaient en caleçon et chaussettes, la figure complètement recouverte d’un foulard et des gants pour n’avoir aucun contact avec ces gros draps en toile rousse, qui avaient peut-être servis à une douzaine d’Auvergnats avant eux. « Je me moquais du peu de confort. J’étais heureux et libre comme le guerrier du désert » disait-il fièrement. De 1830 à 1843, Emile de La Besge chassa donc avec ces fameux chiens du Haut Poitou, race pure française inégalable pour leur fond et la finesse de leur nez. Malheureusement, la rage décima le chenil de Persac. La Besge fit appel à deux étalons anglais, d’où il tira race sur une rare chienne indemne. Cette race fut fixée ensuite par un second apport anglais, via l’étalon Traveller acheté 500 Francs en Angleterre. De lui descend le célébrissime Faublas. Voici l’acte de naissance de ces bâtards du Haut Poitou, baptisés en 1957 « Poitevins » avec un standard qui validait leur type de chien élégant et distingué avec sa robe tricolore.

 

Tel maître, tel serviteur !

Emile de la Besge fut secondé par des piqueurs exceptionnels, tels Fonneau, puis le célèbre Charles. Sa notoriété est éclatante mais il doit s’illustrer encore plus lors de l’invitation lancée par un autre grand veneur nivernais, le comte d’Osmond, en 1867. Prendre 8 cerfs de suite avec 12 chiens dans des forêts inconnues du veneur et de la meute relève de l’exploit, renouvelé lors d’une autre invitation du duc de Beaufort, à chasser le loup en Poitou, qui voulait démontrer que la seule vélocité de ses fox-hounds pouvait forcer aussi un loup. Il y eut grand monde, dont plus de 200 cavaliers qui encombraient les allées, et peut-être trois mille personnes qui gênaient les chasses qui se firent dans un mois d’avril particulièrement sec et chaud. Les chiens anglais, qui eurent du mal à se créancer sur le loup, ne purent montrer la supériorité d’une sélection de chiens sur l’autre, et transformèrent l’invitation en succès mondain. Emile de la Besge ne fut pas un écrivain théoricien cynégétique, mais il conta, dans de nombreux articles publiés dans « Le Journal des Chasseurs » et « le Nemrod », ses chasses si palpitantes. Ses souvenirs manuscrits furent publiés en 1971 chez Perrin, mais l’amateur pourra se reporter à « Entre loups et chiens, souvenirs de Persac », une édition de La Verteville qui présente l’intérêt de regrouper dans un coffret de prestige, les nombreux articles publiés dans les revues cynégétiques de l’époque. Gloire donc à celui que Hublot du Rivault appelait « notre du Fouilloux moderne », par sa résistance physique exceptionnelle, sa ténacité sans pareille, son don magique pour communiquer avec les animaux et sa réelle courtoisie doublée du grand respect des autres. Un exemple à suivre…

 

 

Extrait : Un cerf, 4e tête, sur le toit…

 

Décidément, tous les vieux proverbes sont bien vrais…

 

En voici un, entre autres, contre lequel il n'y a pas d'objection : « On apprend tous les jours quelque chose en vieillissant ». Vous auriez pu croire peut-être qu'en fait de chasse de cerf, j'avais parcouru assez de lustres pour savoir à quoi m'en tenir. Moi-même, je l'avoue franchement, j’étais un peu de cet avis. Eh bien, voyez dans quelle profonde erreur nous serions tombés. Je me figurais par exemple qu'en fait d'armes ou engins quelconques, un couteau de chasse, voir même une carabine, pouvaient suffire. Je me figurais encore qu'un ou deux bons chevaux pouvaient toujours suivre un cerf. Quelquefois aussi, je le sais, un bateau est nécessaire lorsqu'il se fait prendre à l'eau, mais une corde à nœuds ou une échelle quelconque, j'avoue dans ma naïveté, que je n'y avais jamais songé et pourtant parfois cela devient indispensable.

 

Écoutez et jugez

Il y a quelques jours, le 3 dernier, fête de Saint Hubert, nous partons frais et joyeux du château de Pindray, mon frère, ses deux fils, le comte René de Beaumont mon gendre, et votre serviteur. Nous allons attaquer à deux lieues un cerf à sa quatrième tête que nous connaissons pour l’avoir vu par corps à une précédente chasse où nous avions pris un daguet. Ce cerf était dans la forêt de Mareuil près de Chauvigny. Au rendez-vous, nous trouvons nombreuse et sympathique compagnie : MM. de Lafond, Audiguer, Jalais, et plusieurs autres encore, tous bons veneurs, et aimables convives. Le bois est fait par Mirel et Charles, on a connaissance du cerf, mais il va et vient dans les doubles voies qu'il recroise sans cesse, on découple trois chiens qui lancent chevreuils et autres animaux. Impossible de mettre le cerf sur pied, on recouple ces trois volages et on a recours à deux excellents chiens de rapprocher appartenant à M. Audiguer. Ces deux braves bêles ne commettent pas la moindre incartade, mais avec des voies foulées, ils ne peuvent démêler le droit. Bref, à deux heures et demie, on revient au rendez-vous, désespérés de n'avoir pu lancer un jour de Saint-Hubert. Un temps magnifique, c'est par trop de guigne… Il est bien tard, c'est presque de la folie… allons pourtant, encore une tentative. J'entre au fourré à mon tour, adressant une fervente prière à notre saint patron. Bien m'en a pris, le bon Saint Hubert (qui, toute modestie à part me doit bien un peu sa protection), prend ma jument par la bride et me mène presque immédiatement droit sur le cerf qui bondit, fier et vigoureux, sous le nez de ma bête. Par exemple, je croyais à notre bon patron la poigne un peu plus solide (après tout, il commence à se faire un peu vieux), ma jument de cinq ans qui n'en a jamais tant vu, me fait un écart affreux, mais je tiens encore bien, et en route…

 

Tayaut, tayaut…

Enfin, voilà donc le cerf lancé. Tayaut, tayaut… puis la Saint Hubert entonnée par toutes les trompes. Trois heures juste, quelle heure avancée, mais nous avons des chiens rapides comme le vent. Le cerf ne couchera pas dehors. Immédiatement, la meute est découplée et le cerf relancé à vue. La Mareuil est une forêt de six ou sept cents hectares, la plus dure, la plus mauvaise de toutes les forêts du Poitou. C'est un fouillis inextricable de sapins, d'ajoncs, de marais, de ronces et d'épines, avec des fossés d'assainissement dans tous les sens et peu ou point de chemin. Là, il est impossible à n'importe quels chiens avec toute la fougue imaginable (et Saint Hubert sait si les nôtres en manquent) d'aller très vite. Le cerf s'obstine à se faire battre dans ces affreux fourrés. Une heure trois quarts se passe ainsi. Enfin, il se décide à prendre son parti, il débuche : quatorze kilomètres de plaines et de bruyères, vraie course plate, pas un obstacle. Les quatorze kilomètres sont franchis en moins de quarante minutes. Le cerf se rembuche dans les bois du Roy (bois séparé seulement de La Moulière par la Vienne et le bourg de Bonneuil-Matours). Là, se trouvent des animaux en quantité, nos jeunes chiens se débandent immédiatement, voilà des chasses dans toutes les directions, mais Moresque l'intrépide, la vaillante Moresque est là. Elle relance son animal toute seule. Ténébro, son frère, la rallie de suite et pendant un quart d'heure, ils sont seuls sur la voie. Peu à peu, un chien puis deux, puis toute la meule est ralliée

 

Hallali courant

Le cerf repart encore et l'hallali courant est commencé. Dix relancés à vue se succèdent, enfin le cerf à vue des chiens, semble se diriger vers la Vienne, mais il avise un mur de quatre à cinq pieds de haut et le franchit. Un seul chien passe à la suite, les autres retombent sur le dos. Impossible à aucun autre d'arriver sur le sommet du mur. Ce mur clôt un petit parc attenant aux premières maisons de Bonneuil-Matours, gros bourg à cheval sur la Vienne. Le parc et les premières maisons sont adossés au coteau, de sorte que, du côté des terres, les toitures sont presque au niveau du sol. Le cerf pourchassé dans ce parc par le chien saute sur le toit, puis sur un autre. Toujours le chien le suit. Il en franchit un plus élevé toujours même poursuite. Il s'élance, bondit d'un toit sur l'autre, cassant les tuiles, défonçant les toitures. Enfin, il trouve moyen de faire un dernier gigantesque effort, et bondit d'un toit plus bas sur une superbe maison à deux étages. Là, il grimpe tout à fait sur le sommet, et nous regarde majestueusement en semblant nous narguer. Effectivement, nous restons comme ahuris et ne sachant à quel saint nous vouer, comment faire ? Nous jetons un regard dérisoire sur nos couteaux de chasse. A quoi peuvent-ils nous servir ? Ah, si nous avions une échelle, mais qui aurait pensé à son utilité ?

 

Hallali sur pied

Le propriétaire de la maison, presque aussi aux abois que le cerf (il croyait toujours voir tomber ce dernier dans le lit de sa femme), finit par nous en procurer une. On grimpe sur le toit, on cerne le malheureux qui, se voyant traqué de toutes parts, prend bravement son parti et s'élance de quarante pieds de haut dans le vide. Il tombe pour ne plus se relever, au milieu d'une foule énorme, agglomérée, pour voir un tel spectacle. Une vingtaine de toitures ont été brisées ou défoncées. Vous voyez donc l'utilité de l'échelle de corde, ou mieux de soie, à la chasse au cerf. Je croyais que c'était un engin à l'usage exclusivement des adorateurs de Vénus, mais point du tout, elle est aussi nécessaire aux dévots du culte de Diane. Jeunes veneurs, ayez donc toujours à l'arçon de votre selle cette susdite échelle. Qui sait, parfois elle pourra vous servir à deux fins, et vous mes chers contemporains, ma foi, portons-la aussi. Peut-être en la regardant, nous rappellera-t-elle un joyeux souvenir, peut-être même laisserons-nous échapper un soupir, une larme même, mais bah, nous n'en enfoncerons que de plus belle les éperons dans les flancs de nos braves chevaux, ct nous arriverait-il encore quelquefois de montrer le chemin aux jeunes qui nous talonnent. Voilà notre saint Hubert ! Inutile de vous dire que tous, au nombre de dix-huit, nous avons dîné et couché à Bonneuil~Matours. Les poulets étaient un peu durs, mais Je champagne a coulé. Les verres se sont entrechoqués, les trompes ont sonné, et minuit était passé que nous étions encore tous à notre poste. L'avant-veille de la Saint-Hubert, nous avions pris à Verrières un grand louvart en vingt-cinq minutes. Quelques jours avant, un autre cerf à la Mareuil, puis un autre encore que j'ai chassé avec M. du Thiers et qui nous a été enlevé par des paysans grâce à un effroyable coup que je me suis donné à la tête en sautant une haie sous un arbre, ce qui nous a mis en retard de près d'une heure sur les chiens. Puis enfin deux chevreuils dont un jeune pris en trente minutes et une vieille chevrette prise par moi seul en cinquante minutes. Voici, jusqu'à ce jour, le résultat de nos chasses, vous voyez que l'année n'est pas mal commencée…