L’intervention de Malory Randon, dense et rigoureuse, a dressé un portrait complet du canidé : morphologie, organisation sociale, domaines vitaux, reproduction, stratégies alimentaires. Autant de dimensions qui ont permis au public de toucher du doigt une réalité souvent moins connue que fantasmée. Derrière l’image d’un animal mythique se trouvent des comportements précis, adaptatifs, parfois déstabilisants pour les territoires de chasse et les pratiques traditionnelles. Ce qui s’est imposé au fil de la soirée, c’est que la présence du loup n’est plus une éventualité : elle est un fait, dont les conséquences se font déjà sentir dans les départements qui vivent son retour depuis deux décennies. Le cas de la Drôme, exposé par Malory Randon, en illustre la profondeur. Les chevreuils en sont les premières victimes, suivis des grands cervidés, des mouflons, des chamois et des sangliers. Mais, au-delà du nombre d’animaux prédatés, c’est le comportement même de la faune sauvage qui se modifie : perte de poids des animaux, vigilance accrue, distances de fuite allongées, déplacements plus discrets et moins prévisibles. Autant de transformations qui bouleversent l’essence même des chasses individuelles, d’approche ou d’affût. Pour les chasseurs, le constat est rude. Certains territoires, autrefois attractifs, deviennent moins prisés. Les prix des locations chutent, et les pratiquants se déplacent vers des zones jugées plus accueillantes. Les cheptels, eux, se contractent : « dans la Drôme, on observe une baisse des chevreuils (de 5500 à 3500), et des sangliers (de 12000 à 8000). Une recomposition radicale, accompagnée d’un phénomène accentué de regroupement dans les secteurs refuges, où les dégâts agricoles et forestiers se multiplient du fait des concentrations anormales de gibier. Même les chiens ne sont pas épargnés : sensibles à la présence du prédateur, certains cessent de chasser, d’autres, égarés, deviennent des proies faciles. Autant d’éléments qui, mis bout à bout, nourrissent une inquiétude palpable... » avouait Malory Randon.

 

L’ avis de « alabillebaude » :

Face au loup, le chasseur doit rester le véritable gardien des territoires

Mais la question la plus lourde, celle qui a effleuré, puis échappé, à la séance des questions-réponses, demeure : quelle place pour la chasse lorsque le loup s’installe durablement ? Non pas en termes de posture politique, mais en termes d’organisation, d’adaptation, de redéfinition du rôle du chasseur dans un écosystème où un autre régulateur, naturel cette fois, s’impose. La présence du loup, parce qu’elle est désormais installée et imposée par la dynamique naturelle de l’espèce autant que par la réglementation, appelle à repenser la gestion cynégétique. Le chasseur de demain, confronté à un prédateur dont la présence s’est affirmée sans qu’il n’y ait été associé, ne pourra certes pas ignorer le loup, mais il ne devra pas pour autant en devenir le simple spectateur. Son rôle, historique et concret dans la gestion des territoires, gagnera en importance à mesure que les populations de gibier se réorganiseront sous la pression du prédateur. Contrairement au loup, dont l’action est aveugle, opportuniste et souvent déstabilisante pour les équilibres locaux, le chasseur apporte une régulation raisonnée, pilotée, adaptée aux enjeux agro-sylvo-cynégétiques. L’arrivée du loup modifie les données, complique l’exercice, fragilise l’équilibre des territoires et met à mal des décennies d’efforts de gestion durable menés par les chasseurs. Ce n’est donc pas à eux de s’effacer, mais bien de rappeler que la connaissance fine du terrain, des populations et des cycles naturels leur appartient. Là où le loup impose, le chasseur ajuste. Là où le prédateur dérègle, le chasseur compense. La présence du loup, parce qu’elle bouscule les pratiques, accentue encore la nécessité de reconnaître la chasse comme un outil essentiel de gestion. Ce n’est pas au chasseur de s’adapter seul, mais bien à la société d’admettre que le prédateur, en s’installant, génère des contraintes nouvelles. Dans ce contexte, le chasseur apparaît comme le premier et le plus légitime gestionnaire de terrain, celui qui observe, mesure, alerte et agit. L’avenir de la chasse ne doit pas être pensé comme une cohabitation subie, mais comme la défense d’un savoir-faire indispensable, d’un lien vivant avec les territoires, et d’un équilibre qu’aucun prédateur ne saura garantir seul. L’enjeu n’est pas d’offrir une place au loup, mais de préserver celle, essentielle, du chasseur dans des campagnes qui ont besoin de régulation maîtrisée, de présence humaine et de compréhension fine des milieux.

Jean-François Guerbert