Un calibre “24”, tout neuf !

La première de ces dames était là pour accompagner son mari, un ancien veneur, toujours aussi passionné de chasse, malgré l’impossibilité pour lui de suivre des laisser-courre. Ce couple totalisait plus d’un siècle et demi d’existence, et, si on y ajoutait l’âge de la voiture qui les transportait, on devait arriver aux deux. À côté, l’autre dame, beaucoup plus jeune, une trentaine d’années à peine, portait un joli tailleur couleur herbe sèche et sur la tête un petit chapeau tyrolien adorné au ruban d'une plume de coq de bruyère. Ce fut elle qui s’élança la première à l’appel du directeur de battue pour le rond du matin, suivie de tous les chasseurs qui seraient postés. Les consignes furent données méthodiquement, avant l’intervention du chef traqueur qui fit le rapport du pied. Les valets de limiers signalaient une petite compagnie en bordure de plaine et deux bêtes de garde dans la coupe du vieux chêne. Le chef de traque précisa : « Nous attaquerons, dans la coupe du vieux chêne, les deux bêtes de garde. L’une est estimée à 160 livres, l’autre à plus de 250, et, si on a le temps, nous irons saluer la compagnie. Mesdames, Messieurs, vos chefs de lignes vont vous emmener à vos postes. » Moins d’un quart d’heure plus tard, j’étais placé à proximité d’une belle coulée, derrière un hêtre centenaire. Mon voisin de droite me fit un petit signe auquel je répondis, et, me tournant vers ma gauche, je vis que mon autre collègue était la charmante dame, équipée d’une arme très fine, très menue, un calibre 24 tout neuf, bien trop faible, à mon avis, pour coucher une vigoureuse bête noire. Nous gardions une grande sommière qui traversait la domaniale dans sa longueur. Dans le lointain, un coup de pibole, puissant, annonça le début des hostilités. Quelques récris résonnèrent et puis un rapprocher monta en puissance, de plus en plus chaud. L’attaque eut lieu sans abois, les sangliers fuyant les bauges dès les premiers coups de gueule des chiens. La menée fut belle, criante et les animaux se firent battre un bon moment dans les jeunes tailles qui étaient devant nous cherchant le trou pour quitter ces lieux dangereux.

 

Une masse grise

Collé à mon arbre, je m'imaginais le gros mâle, trottinant, soies hérissées, l'œil haineux arrivant dans la coulée que je surveillais. Je serrais ma “9,3” et cherchait des éclaircies dans le taillis pour assurer le coup probable qui allait se présenter. La chasse, une nouvelle fois, revenait vers notre ligne et ressemblait à un ferme roulant qui coulait devant nous à une cinquantaine de mètres. Soudain, le sanglier chargea, poussant de sourds grognements, tandis que les chiens s'écartèrent brusquement dans un bruissement de feuilles et de branches cassées. J’aperçus un nivernais, puis un deuxième, le poil hérissé, qui me présentaient leur arrière-train. Le sanglier devait donc être devant, dans le taillis, mais je ne voyais rien. Les chiens glissaient eux aussi sous les branches, se récriant encore plus chaudement, et je vis, une fraction de seconde, une masse grise qui disparut sur la gauche, escamotée par de jeunes touffes de chêne. Le griffon fonça à sa suite en donnant toute sa voix. Je pivotais sur mes talons pour mieux tirer au saut de la ligne, car j’étais sûr maintenant que le sanglier allait sauter. Ma carabine à l’épaule, fasciné par le concert du ferme si proche, j’étais prêt à mettre en joue. Presque instantanément, la bête noire apparut sur la ligne. Je pris ma visée, mais, au bout de mon canon, se profila ma voisine, venue inopinément sur le milieu de l’allée. À cet instant précis, un peu de fumée s’échappa de son fusil d'enfant. Un sifflement, à ma hauteur, suivait l'axe de notre sommière. Je sautai dans le bois, instinctivement, c'était d'ailleurs trop tard. Je ne sentais plus mes jambes incapables, à ce moment-là, de me soutenir. Quelques instants plus tard, trois coups de trompe annoncèrent la fin de cette première traque. Alors, ma chasseresse mit son petit fusil à l'épaule et s'en alla d’un pas rapide et léger, signe d’une conscience tranquille, vers le lieu de rassemblement. « Qui a tiré ? » demanda le chef de ligne. Je me bornai alors à lui montrer notre jeune Diane qui poursuivait tranquillement son petit bonhomme de chemin. « Ah, les femmes… » soupira-t-il.

 

« Allons saluer la compagnie »

C’est en ces termes que le maître des lieux nous invita à encercler les coupes qui bordaient la plaine et dans lesquelles devait se trouver, si elle n’avait pas vidé les lieux, la compagnie signalée au rapport du matin. Notre chef de ligne sortit de sa poche une carte au 1/25 000, sur laquelle étaient pointés, en rouge, les postes qui fermaient ce buisson. « Avec votre frère, nous dit-il, vous fermerez la ligne de la Fournelle. Placez-vous de part et d’autre, à une cinquantaine de mètres de la borne blanche. » Moins d’une demi-heure plus tard, nous étions en poste au milieu de nombreuses coulées, bien dégagées. Je reprenais mes esprits tout en étudiant le nouveau champ de tir. Et voilà, au loin, la trompe qui déclencha le départ des traqueurs pour cette seconde poussée. Première coupe : rien. Nouveau coup de trompe pour l’entrée dans la deuxième et, quelques minutes plus tard, des appels appuyés. Les récris des chiens montèrent en puissance et la meute chanta en chœur. La chasse semblait glisser sur la droite, se rapprocher même. Je fis un signe à mon frère, attirant son attention, les sangliers étaient probablement débandés. Nous étions particulièrement attentifs quand soudain, dans mon dos, je perçus un bruit de pas rapides, foulant sans précautions la couche des feuilles. Prestement, je me retournai pour accueillir l’imprudent, mais quelle ne fut pas ma stupéfaction quand je vis… ma jeune chasseresse. Encore elle ! Elle m'adressa un petit sourire, qu’elle aurait pu garder, et la voilà qui disparut dans le faux chemin qui serpentait dans la coupe devant nous… Les chiens menaient à pleine gorge, la chasse venait sur notre ligne. Mon frère et moi étions stupéfaits, incrédules. Je retenais mon souffle pour mieux comprendre. Et puis, l’impensable arriva. Devant nous, à une cinquantaine de mètres, un pet de poudre résonna, bruit méprisable d’une escopette qui venait de cracher son mauvais venin. Mon frère me regarda. De dépit, je haussai les épaules. Quelques secondes se passèrent avant qu’une voix de soprano ne poussât des “hallalis” répétés, sans aucune pudeur. Je ne bougeais pas, éberlué, mais encore persuadé qu’il y avait d’autres animaux. Malheureusement, la menée s’éloignait. Le coup de fusil de la belle et ses “hallalis” avaient détourné la compagnie. C’était fini pour nous. Nous vîmes alors notre vaillante chasseresse ressortir du filet, brandissant triomphalement un marcassin encore en livrée. La pauvre bestiole devait faire, au moins… ses douze livres. « Je l'ai tiré, je l’ai arrêté ! » cria-t-elle innocemment… Nous n’eûmes pas, mon frère et moi, le courage de la féliciter. Alors, sans plus nous attarder, nous nous dirigeâmes vers le rendez-vous de chasse que nous avons quitté rapidement, navrés du résultat de cette journée qui s'annonçait si bonne, après avoir salué le maître des lieux. Amis chasseurs, que notre saint patron vous protège des jeunes et belles chasseresses !