Un calibre “
La première de ces dames était là pour accompagner son mari, un ancien veneur, toujours aussi passionné de chasse, malgré l’impossibilité pour lui de suivre des laisser-courre. Ce couple totalisait plus d’un siècle et demi d’existence, et, si on y ajoutait l’âge de la voiture qui les transportait, on devait arriver aux deux. À côté, l’autre dame, beaucoup plus jeune, une trentaine d’années à peine, portait un joli tailleur couleur herbe sèche et sur la tête un petit chapeau tyrolien adorné au ruban d'une plume de coq de bruyère. Ce fut elle qui s’élança la première à l’appel du directeur de battue pour le rond du matin, suivie de tous les chasseurs qui seraient postés. Les consignes furent données méthodiquement, avant l’intervention du chef traqueur qui fit le rapport du pied. Les valets de limiers signalaient une petite compagnie en bordure de plaine et deux bêtes de garde dans la coupe du vieux chêne. Le chef de traque précisa : « Nous attaquerons, dans la coupe du vieux chêne, les deux bêtes de garde. L’une est estimée à
Une masse grise
Collé à mon arbre, je m'imaginais le gros mâle, trottinant, soies hérissées, l'œil haineux arrivant dans la coulée que je surveillais. Je serrais ma “
« Allons saluer la compagnie »
C’est en ces termes que le maître des lieux nous invita à encercler les coupes qui bordaient la plaine et dans lesquelles devait se trouver, si elle n’avait pas vidé les lieux, la compagnie signalée au rapport du matin. Notre chef de ligne sortit de sa poche une carte au 1/25 000, sur laquelle étaient pointés, en rouge, les postes qui fermaient ce buisson. « Avec votre frère, nous dit-il, vous fermerez la ligne de la Fournelle. Placez-vous de part et d’autre, à une cinquantaine de mètres de la borne blanche. » Moins d’une demi-heure plus tard, nous étions en poste au milieu de nombreuses coulées, bien dégagées. Je reprenais mes esprits tout en étudiant le nouveau champ de tir. Et voilà, au loin, la trompe qui déclencha le départ des traqueurs pour cette seconde poussée. Première coupe : rien. Nouveau coup de trompe pour l’entrée dans la deuxième et, quelques minutes plus tard, des appels appuyés. Les récris des chiens montèrent en puissance et la meute chanta en chœur. La chasse semblait glisser sur la droite, se rapprocher même. Je fis un signe à mon frère, attirant son attention, les sangliers étaient probablement débandés. Nous étions particulièrement attentifs quand soudain, dans mon dos, je perçus un bruit de pas rapides, foulant sans précautions la couche des feuilles. Prestement, je me retournai pour accueillir l’imprudent, mais quelle ne fut pas ma stupéfaction quand je vis… ma jeune chasseresse. Encore elle ! Elle m'adressa un petit sourire, qu’elle aurait pu garder, et la voilà qui disparut dans le faux chemin qui serpentait dans la coupe devant nous… Les chiens menaient à pleine gorge, la chasse venait sur notre ligne. Mon frère et moi étions stupéfaits, incrédules. Je retenais mon souffle pour mieux comprendre. Et puis, l’impensable arriva. Devant nous, à une cinquantaine de mètres, un pet de poudre résonna, bruit méprisable d’une escopette qui venait de cracher son mauvais venin. Mon frère me regarda. De dépit, je haussai les épaules. Quelques secondes se passèrent avant qu’une voix de soprano ne poussât des “hallalis” répétés, sans aucune pudeur. Je ne bougeais pas, éberlué, mais encore persuadé qu’il y avait d’autres animaux. Malheureusement, la menée s’éloignait. Le coup de fusil de la belle et ses “hallalis” avaient détourné la compagnie. C’était fini pour nous. Nous vîmes alors notre vaillante chasseresse ressortir du filet, brandissant triomphalement un marcassin encore en livrée. La pauvre bestiole devait faire, au moins… ses douze livres. « Je l'ai tiré, je l’ai arrêté ! » cria-t-elle innocemment… Nous n’eûmes pas, mon frère et moi, le courage de la féliciter. Alors, sans plus nous attarder, nous nous dirigeâmes vers le rendez-vous de chasse que nous avons quitté rapidement, navrés du résultat de cette journée qui s'annonçait si bonne, après avoir salué le maître des lieux. Amis chasseurs, que notre saint patron vous protège des jeunes et belles chasseresses !