Jusqu’à une époque récente, les métiers étaient définis par des hiérarchies sociales dont le vêtement était le symbole le plus éclatant. Cet état distinctif, sorte de coupure sociale qui est générale, mais non conflictuelle dans toute la société, a été mise en paroles et musique par Fernand de Courtivron, qui résidait à Persac, haut lieu de la vènerie et patrie des La Besge. Ses aïeux furent louvetiers en Côte d'Or de 1800 à 1850, au château de Bussy la Pesle. Auteur et compositeur de nombreuses fanfares de chasse, on lui doit, entre autres : « Adieu aux forêts de Bourgogne », « L’Amazone », « La belle dijonnaise », « La Bois-Moulin », « La Bussy », « La Colagnies », « La Marche du Bœuf gras », « La Marche funèbre d’une vieille trompe » et... « La Dèche ». Cette dernière, comme une maladie quasiment incurable, était décrite ainsi : « La dèche, Monsieur, c’est mon ordinaire depuis que mes gages s’envolent plus vite qu’un lièvre devant les bottes d’un gentilhomme pressé. La dèche, Monsieur, n’est point cette pauvreté romantique que chantent les poètes de salon. C’est une créature tenace, à l’odeur de chandelle froide, aux mains collantes comme un créancier. Vivre en dèche, Monsieur, c’est savoir cuisiner un os en guise de bouillon, et polir ses bottes avec ses larmes pour économiser la graisse. La dèche, lorsqu’elle s’installe, devient presque une muse. Mais je ris, car sans le sou, faut bien se payer de mots. Et puis, la misère vêtue d’humour, ma foi, passe pour de l’élégance... ». Voici le dialogue savoureux de la fanfare « La Dèche », coté maitre et coté piqueux, où le premier croule sous les louis d’or… et le second coule sous les dettes de l’auberge :
Version du Veneur :
De nombreux louis d'or dans ma poche sonnent,
Fort joyeusement, les trompes résonnent.
Quand, le gousset plein, le flacon rempli,
On est au plaisir, sans aucun souci.
Mais le bonheur me réjouit l'âme.
Oui vraiment ! L'or a bien ses charmes,
Et je vais, Morbleu ! Tout m'offrir,
Femme, bon vin, chasse et plaisirs
Version du Piqueux
Trois malheureux sous dans ma poche sonnent,
Plus joyeusement, les trompes résonnent.
Quand le gousset plein, le flacon rempli,
On est au plaisir sans aucun souci.
Maudite est la dèche infâme,
Qui, chaque jour, me trouble l'âme.
Je ne peux, hélas, rien m'offrir,
Et je n'en ai pas le loisir.
Voilà donc notre piqueux, héroïque, fidèle, indispensable dans son rôle clé de la symphonie de la vénerie. Les premiers vers rappellent la différence des galons entre maître et personnel. Seul Reverdi, dit « La Trace », eut l’honneur insigne de porter le galon des maîtres, pour la création de la Vènerie Impériale. « Le monde des valets de chiens, des piqueux et des valets de limiers n’est sans doute pas choisi parmi les gens les mieux élevés et des plus délicats, mais leur science spéciale et leurs talents particuliers rachètent le manque d’éducation… » écrivait Gassies, dans son livre « Le vieux Barbizon ». Des sept définitions du dictionnaire de l’Académie Française ne retenons que la première : « piqueux : homme de cheval, dont la fonction est de suivre la bête et de régler la course des chiens ». La prononciation ancienne de piqueux est encore très fréquente. Aussi, nous nous abritons derrière la graphie retenue par le baron de Lage de Chaillou, et même Gyp. De plus, c’est l’orthographe préconisée par les rédacteurs de l’Annuaire de Vènerie. Ainsi, l’utilisation de l’orthographe « piqueux » évite toute confusion avec les autres emplois.
La hantise de la rupture
Parfois, la rupture du contrat entre le maitre et le piqueux s’est faite d’une manière brutale, comme l’indique l’anecdote qui concerne M. Frossard, grand louvetier de la Nièvre. Excédé du comportement de son piqueux, il s’exclama, empourpré de colère : « Donnez-moi votre habit, votre gilet, votre couteau de chasse, votre trompe, vos bottes... ». Réponse de l’intéressé : « Si Monsieur me demande ce que la pudeur m’interdit de nommer, j’aurai l’honneur, et le regret, de donner un coup de carabine à Monsieur ». Dans un autre litige, la Cour de Nancy, en 1913, eut à se prononcer sur le différend entre un piqueux et M. de Bonfils, maître d’équipage de La Tournelle. Le piqueux, Victor Cauvain, arguait d’un contrat annuel. Il fut débouté car, a précisé la Cour : « c’est un serviteur à gages, attaché à la personne par un contrat de louage de service régi par les usages locaux : article 1780 du Code Civil modifié par loi de 1890 ». Effectivement, la grande souplesse de ces contrats permettait des recrutements pour trois mois... renouvelables. Dans l’histoire de la vènerie, on peut cependant noter une évolution dans ce métier. Elle est due à l’extension de la vènerie française que l’on peut décrire en trois cercles concentriques : un noyau avec les vèneries impériales et royales (1805 à 1870), une couronne avec les grands équipages importants par leur durée ou marquants par leurs exploits. Enfin le cercle des satellites qui vit de l’énergie des premiers. Après ce paragraphe général, dans un autre chapitre, nous remonterons dans le temps pour explorer : « Les parcours et carrières de quelques piqueux »...