Le stade, lui, se trouvait à la sortie du village, tout près des lisières, autrement dit à un emplacement idéal pour un crossover improbable entre sport et safari. Le matin donc, malgré les efforts des traqueurs motivés comme des CRS un jour de manif, rien. Pas le moindre groin à l’horizon. Mais, l’après-midi, coup de théâtre : le sanglier est débusqué à la Rochère, bien remisé dans une petite combe. Cinq coups de fusil plus tard, tous manqués, le ragot, copieusement insulté par les chasseurs maladroits, décide de se carapater… en direction du stade. Imaginez la scène : sur le terrain, les bleus (du pays) se battent pour la montée contre les verts. Les spectateurs, tranquilles, grignotent des cacahuètes, et soudain, entre deux passes, une masse noire, hirsute, moustachue, déboule à toute vitesse. Le public se fige, les joueurs aussi, puis dans un réflexe primitif, arrêtent de courir après le ballon… pour échapper au courroux du solitaire. Trois adversaires manquent de se faire embrocher, et deux locaux s’en sortent grâce à une pointe de vitesse digne de Mbappé. Le sanglier, lui, semble hésiter, ne sachant pas encore quelle équipe il peut aider... Il arrive alors dans le rond central, où deux joueurs téméraires agitent les bras pour l’intimider. Mauvaise idée. La bête pivote, repère l’arbitre, seul type en noir sur le terrain, et fonce...
Corrida improvisée
L’arbitre, qui n’avait pas signé pour une carrière de torero, esquive de justesse. Mais une défense accroche son short, qui finit en lambeaux. Résultat : l’homme au sifflet se retrouve à moitié en slip, rouge de colère et un peu de honte, incapable de siffler un penalty pourtant évident. Dans les tribunes, on rit, on crie, certains commencent même à calculer combien de kilos de jambon ça peut faire, tandis que d’autres s’inquiètent sérieusement craignant que la bête décide de grimper dans les gradins. Mais sur le terrain, le ragot n’a pas fini son show. Voyant le gardien adverse, il charge. Le pauvre, dans un réflexe désespéré, s’accroche à la barre transversale comme un koala à son eucalyptus. Le sanglier, sur sa lancée s’emmêle dans le filet, secoue tout, arrache des mailles qui laissent voir un trou béant, et… se précipite vers les vestiaires. La porte de contreplaqué ? Défoncée. Une question se pose alors : « On ferme pour le coincer ? Ou on laisse ouvert pour éviter qu’il nous prenne pour un buffet à volonté ? » Personne ne bouge. Même l’arbitre, toujours occupé à recoudre sa dignité. A l’intérieur, fusent alors des bruits de western. Des meubles qui tombent, des sacs qui volent, des douches qui giclent, et quelques minutes plus tard, le sanglier ressort, traînant une chemise à moitié enfilée, trébuche dedans, exécute un salto avant digne d’un buteur célèbre, puis file vers la forêt. Sort alors des vestiaires le secrétaire du club, plus blanc que pâle qui déplore : « Il a tout mis par terre… J’me suis enfermé dans le bureau… Il a feugné toutes les chaussures comme s’il cherchait des glands… et il est même allé voir les douches ! ». L’arbitre, encore traumatisé, décide cependant que la partie doit reprendre et ordonne la reprise du match... dès que le filet aura été réparé avec de la ficelle, ce qui donnera au but, pour la fin de la partie, l’allure d’une cage à poules...
Épilogue
Le match s’est terminé presque à la nuit, avec la victoire des locaux. Et le sanglier ? Mauvais calcul : il a choisi de retourner dans les bois communaux au lieu de fuir en plaine… où il est tombé sur le directeur de chasse/gardien de but, qui l’a abattu net, ignorant que la bête noire venait de fausser la seconde mi-temps. Mais avec ses 110 kilos, le ragot allait faire des heureux. La soirée s’est terminée à la salle des fêtes, où on a fêté à la fois la victoire au foot et celle à la chasse. Quant au gardien/directeur de chasse, copieusement chambré, il dut payer deux tournées : une pour son absence au match, et l’autre pour son tir parfait...