Dans les écosystèmes faiblement anthropisés, les populations animales suivent des dynamiques largement déterminées par les mécanismes naturels de régulation. Les théories classiques de l’écologie, notamment les modèles proies–prédateurs de Lotka et Volterra, ou les modèles de croissance logistique, montrent que la densité-dépendance constitue un moteur essentiel de stabilisation. Lorsque la population d’une espèce augmente, les ressources deviennent plus limitées : nourriture, abris, sites de reproduction. Cette compétition accrue entraîne une baisse du succès reproducteur, une augmentation de la mortalité juvénile et une plus grande vulnérabilité aux maladies. À l’inverse, lorsque la population diminue, les ressources excédentaires permettent un rebond démographique. Les carnivores supérieurs, tels que le loup, l’ours, le lynx ou les grands rapaces, exercent, en théorie, une pression sélective et régulatrice sur leurs proies. Le retour des loups dans plusieurs pays européens illustre bien ce mécanisme : dans certaines vallées alpines, la pression de prédation sur les cervidés a contribué à réduire par élimination, ou à disperser, des populations localement en expansion. Mais la prédation ne se limite pas aux grands carnivores. Les mustélidés, les renards, les rapaces nocturnes ou diurnes participent également à un maillage régulateur complexe, notamment sur les petits mammifères, dont les cycles, parfois explosifs, influencent de nombreuses espèces. Ces dynamiques peuvent donc être cycliques, comme chez le lièvre variable ou le campagnol, dont l’abondance fluctue selon des cycles de 3 à 10 ans, liés à des facteurs combinés : disponibilité alimentaire, pression de prédation, climat et pathogènes. Les maladies jouent enfin un rôle crucial. Les épizooties naturelles peuvent réduire brutalement certaines populations, puis permettent un rééquilibrage progressif. Ces crises démographiques sont inhérentes aux systèmes naturels et participent à la diversité génétique en éliminant les individus les plus fragiles, bien que l’impact soit parfois sévère.
Mais ces mécanismes ne fonctionnent pleinement que lorsque les écosystèmes disposent de surfaces suffisantes, d’une continuité écologique et d’un réseau trophique intact. La fragmentation des habitats, la disparition de prédateurs-clés et la modification humaine des ressources peuvent désactiver ces régulations naturelles, entraînant des déséquilibres parfois durables. C’est précisément dans ce contexte que s’inscrit la régulation anthropique moderne.
Régulation anthropique et interactions avec les dynamiques naturelles : vers des systèmes mixtes
La régulation anthropique regroupe toutes les interventions directes ou indirectes de l’être humain sur les populations animales. La forme la plus visible est la gestion cynégétique : plans de chasse, quotas, tirs de régulation, interventions en cas de dégâts agricoles ou de risques sanitaires. Bien que souvent présentée comme un substitut aux prédateurs disparus, la chasse s’inscrit en réalité dans une logique plus large, visant non seulement à réduire certains effectifs, mais aussi à orienter les structures démographiques (âge, sexe, distribution spatiale). Cette gestion vise surtout les ongulés (grands cervidés, chevreuils, sangliers) dont les densités peuvent augmenter fortement en raison d’hivers plus doux et d’une disponibilité alimentaire accrue. Cependant, la régulation anthropique dépasse largement le cadre de la chasse. Les politiques publiques jouent un rôle structurant : statut d’espèce protégée ou chassable, corridors écologiques, création de zones de tranquillité, interdictions temporaires, réintroductions ou au contraire opérations d’effarouchement. L’urbanisation, l’agriculture et les infrastructures modifient également les habitats, créant tantôt des zones attractives (cultures riches, friches, lisières), tantôt des barrières infranchissables ou des pièges écologiques. Ces interventions humaines ne suppriment pas les régulations naturelles, mais les modulent. Dans certains cas, elles compensent leur disparition : ainsi, l’absence de grands prédateurs dans de nombreuses régions européennes rend nécessaire une gestion humaine des cervidés pour limiter les dégâts forestiers. Dans d’autres cas, elles les perturbent : le nourrissage indirect par les cultures ou les déchets peut augmenter la survie hivernale des sangliers, favorisant une dynamique explosive malgré des prélèvements élevés. Par ailleurs, certaines politiques de protection renforcée peuvent provoquer un rebond rapide des prédateurs, modifiant les équilibres locaux. Ces deux formes de régulation, naturelle et anthropique, interagissent donc constamment. L’exemple du loup est emblématique : son expansion naturelle en Europe se superpose à des politiques de protection, à des conflits d’usage et à des régulations administratives. De même, les cervidés évoluent aujourd’hui dans des paysages où les prédateurs reviennent ponctuellement, mais où la pression humaine reste déterminante.