« Jules, le renard, deux poules et un coq... » selon une version contemporaine inspirée de Jean de la Fontaine...
Jules avait le regard fixe, figé, crispé. On aurait pu croire qu’il rêvait, qu’il pensait encore à cette dernière chasse de l’année passée, dans le massif de la Salève, au gros sanglier du matin, aux écureuils joueurs qui lui avaient tenu compagnie pendant la longue attente l’après-midi, assis sous le grand chêne du bois de la Salette. Mais on se serait trompé. Il suffisait de distinguer le léger va et vient du regard, l’extrême tension des muscles, la goutte de sueur qui perlait sur le front, la caresse de la paume sur le bois de la crosse, pour comprendre que Jules ne rêvait pas le moins du monde…
Il était à sa tâche, tout entier à son but. Son but ? C’était le renard. Jules habitait cette maison à flanc de montagne, d’où on voyait tout entier le massif de la Salève. On voyait le monde, le monde de Jules. Maintenant qu’il était à la retraite, il avait bien du temps : le bricolage, l’entretien des armes, le poulailler au fond de la petite prairie, le dessin, écrire encore quelques histoires de chasse, comme du temps de l’armurerie, du travail à l’atelier, du temps des cartouches à la poudre T. Mais il y avait le rouquin, le mal incarné, la bête malfaisante, pas celle qui se nourrit et tue pour ses petits, non, la bête tueuse et vicieuse, celle qui tue pour rien. Un soir, il l’avait bien aperçu sortant du poulailler, bien en face, une fois de plus, une fois de trop. Les derniers rayons de soleil qui parvenaient encore à filtrer jusqu’au pied du massif s’étaient posé sur la fourrure du goupil, roux jusqu’à plus roux que possible, beau comme un Dieu, planté là, immobile, pendant une ou deux secondes, la poule dans la gueule, le soleil qui aveuglait les yeux…
De la fenêtre de l’atelier à l’entrée du poulailler, il y avait 80 mètres, mesurés précisément, pas à pas, comptés et recomptés. Alors Jules avait fait des croquis, mis en équation les incertitudes de trajectoire, avait refait les calculs, remesuré la poudre, et il avait même eu un coup de génie : il suffisait de mettre la bourre à l’envers, de rajouter un peu plus de poudre, de mettre un peu moins de plombs, mais de charger avec du plus gros…
Bref, toutes les connaissances apprises du travail de l’atelier d’armurerie, année après année, fusil après fusil, livre après livre des maîtres armuriers de Saint-Étienne, tout cela mis en pratique dans le seul et unique but… le renard. Cette bête était belle, mais imbue de sa force et de sa magnificence. Elle en avait oublié la prudence qui caractérise son espèce. Dès le lendemain soir, elle était revenue. Jules l’avait guetté, espéré. Le matin, il avait fabriqué une seule et unique cartouche, la cartouche faite maison, celle avec la bourre à l’envers, la cartouche spéciale à Jules. Il avait vérifié le 12, l’avait nettoyé et huilé légèrement l’intérieur du canon. Après une journée finalement comme les autres, il s’était installé sur la chaise, derrière la fenêtre de l’atelier, n’espérant pas voir de sitôt le Goupil au poulailler… Mais la bête était rentrée, et Jules n’en croyait pas ses yeux… Jules avait le regard fixé, on aurait pu dire figé, crispé. Le juxtaposé bien calé à l’épaule, Jules visait, dessus, encore un peu, encore un peu plus, là, peut être… Le renard, magnifique, éclairé comme la veille par le dernier rayon du soleil sur la Salève, se tenait immobile, indécis. Le soleil lui aveuglait les yeux.
« Jules, Jules, Jules, mais qu’est-ce que tu as fait ! Oh, mon Jules, Jules dis-moi, qu’est-ce que tu as fait ? »
C’est Madame de Jules qui a couru à l’atelier après le bruit énorme. La Dame de Jules qui s’est mise à pleurer de le voir par terre, le fusil à coté… Elle le remet sur la chaise. Jules ne dit rien, il sourit simplement, comme un gosse prit à faire une grosse bêtise…
« La bête, le roux, je ne sais pas si je l’ai eu, va voir, dis-moi…ne le touche pas, dis-moi simplement… »
Alors la Dame de Jules est allée voir. Elle a marché les 80 mètres à l’aller, puis les 80 mètres au retour, et elle dit à son Jules :
« Tu promets une chose avant que je dise, tu promets de ne jamais le refaire… »
« Je promets… »
« Le renard il est bien mort, mais il y a 2 poules et le coq aussi. Il nous faudra les manger, je crois qu’ils sont bien plombés… »
L’auteur de ce récit a édité un roman de chasse « Toine des garrigues », pour recevoir un livre dédicacé, vous pouvez le contacter au 06 81 86 59 60
Ou par courriel à : jean-paul.cappy@orange.fr