C’est de là que viennent les sangliers, ainsi que le montrent les nombreuses coulées qui sillonnent le terrain. Dans la haie, vers le centre, émerge bien plus haut que les autres végétaux, un chêne. Bien qu’il ne soit pas très gros, la première ramification se trouve quand même à un peu plus de trois mètres du sol et semble assez solide pour y supporter un siège et son passager, le tout, compte tenu de la morphologie de notre archer, ne devant pas excéder le quintal. Les aménagements, entrepris illico, consistèrent à couper quelques branches afin de dégager la vue et de visser six broches dans l’aubier en guise de marche, afin de pouvoir accéder aisément à la plate forme. Ensuite, il n’y aura plus qu’à attendre le bon vouloir des bêtes noires. Ce que fit notre chasseur dés le lendemain soir, puis le surlendemain, et les jours suivants. Patiemment, Christophe prenait place dans son perchoir deux heures avant le déclin du jour et y restait jusqu’à la limite légale autorisée. S’il se réjouissait de voir au loin quelques chevreuils qui gambadaient, des lièvres en plein bouquinage, ou encore quelques faisans au rappel, il se demandait quand une de ces bêtes noires oserait sortir de la forêt. Chaque matin, il constatait des dégâts nouveaux, preuve que les sangliers y venaient, mais bien plus tard dans la nuit. La veille du 15 août, un violent orage éclata en début d’après midi. Sous les trombes d’eau, les fossés se remplissaient et les ornières des champs transpiraient de cette humidité suave dégagée par la terre surchauffée. « Ce soir, ça devrait être bon, se dit Christophe. Il faut que je m’installe plus tôt que d’habitude ». Et c’est ainsi que, muni de ses accessoires, il prit position sur son perchoir, imperméable à portée de main sous un ciel menaçant. Vers vingt heures, un éclair suivi immédiatement d’un violent coup de tonnerre le fit sursauter. Et la pluie se mit à tomber, d’abord bien verticale, puis presque horizontalement, poussée avec violence par des coups de vents impressionnants. Le ciel ouvrait ses vannes. Un véritable déluge s’abattit sur la région, sous un ciel noir, ponctué d’éclairs zébrés et de tonnerre qui rendait l’endroit lugubre. Sur son perchoir et sous son imper, Christophe chahuté par les éléments, n’en menait pas large et se demandait s’il n’aurait pas mieux fait de rester chez lui. Comme dit le dicton « après la pluie le beau temps », une heure plus tard, le calme était revenu sous un ciel dégagé et enfin apaisé. Calmement, notre archer replia son imperméable et se réinstalla un peu plus confortablement. A portée de main, son compound était prêt, flèche encochée. Il en était là de ses méditations quand sous ses pieds, un grognement caractéristique le fit sursauter. Un beau sanglier était trois mètres sous lui, à vermiller. Christophe, qui surveillait le champ, n’avait rien vu venir. Par où était-il donc passé, était-ce une laie qui appelait ses marcassins ?

 

« Il charge ! »

Le plus lentement qu’il put, Christophe inclina le buste pour mieux observer l’animal, qui déjà s’éloignait dans la haie. « Bon sang, se dit-il, il va filer… ». Effectivement, quelques mètres plus loin, le sanglier disparut. Dépité et déçu de s’être laissé surprendre, Christophe se demandait ce qu’il devait faire. Attendre un peu, descendre du perchoir et tenter de l’approcher car il était à bon vent, ou rester en place et ne plus bouger. Il décida de ne rien faire pendant un quart d’heure, montre en main. Dans l’excitation du moment, les aiguilles ne tournaient pas vite, faisant monter d’un cran la nervosité. Soudainement et aussi surprenant que pour la première vision, un autre sanglier était sous l’arbre, à ses pieds. « Ça alors, mais d’où viennent-ils donc ? ». Immédiatement, le prédateur prit le dessus sur l’homme et le chasseur. Tous ses sens parfaitement maîtrisés, Christophe saisit son arc, l’arma et attendit de pouvoir identifier l’animal qui était maintenant à une dizaine de mètres de sa pointe de flèche. Un mâle, un beau sanglier de cent cinquante livres était dans sa ligne de visée. Au moment où il allait décocher, un autre grognement lui fit faire un petit mouvement de côté. Il n’en fallut pas plus pour que la flèche, qui était pointée sur le poitrail de l’animal, juste derrière l’épaule, porte une trentaine de centimètres vers l’arrière, pour se ficher, bien droite, dans le cuissot. Le sanglier poussa un cri, puis détala dans la haie, suivi d’une deuxième bête noire, puis d’une troisième, puis du reste de la compagnie. Christophe ne le sut qu’après, mais les sangliers qu’il attendait, étaient tout bonnement baugés en bout de haie, à quelques dizaines de mètres de lui. Mais revenons à notre sanglier blessé… Dix minutes plus tard, n’ayant rien vu traverser le champ, Christophe descendit de son arbre. Il en était convaincu, le sanglier et sa flèche étaient restés dans la haie. Lentement, il explora, prêt à toute éventualité, la lisière, arpentant silencieusement la bordure du champ, bien décidé à aller jusqu’au bout et à remonter le long du verger s’il n’avait rien vu. Effectivement, au terme de l’aller, rien n’avait bougé. Curieux… Maintenant, il s’apprêtait à remonter la bordure le long du verger. C’est là qu’il se rendit compte qu’il n’était plus à bon vent. Que faire ? Soit un demi-tour, remonter le long des chaumes et revenir de ce côté vent de face ou continuer. La faible largeur de la bande boisée l’incita à poursuivre. Vingt mètres, trente mètres, cinquante mètres… Un léger bruissement attira alors son attention. L’arc était prêt à lâcher sa flèche… mais Christophe n’eut pas le temps de tirer. Dans un fracas de branches cassées, le sanglier blessé l’avait laissé passer et le chargeait, par l’arrière. Un arc, dans ces conditions, n’est pas facile à manipuler, surtout avec une flèche encochée. Soulevé comme un fétu de paille, Christophe lâcha involontairement son arme pour mieux se réceptionner au sol et déjà, le « rogneux » lançait sa seconde charge. Christophe para du mieux qu’il put et saisissant une branche morte qui se trouvait à portée de main, en asséna un violent coup sur le boutoir du gros noir. Surpris, le sanglier s’arrêta, regarda curieusement la forme qui était à terre, et lança une nouvelle charge. Christophe, complètement désarmé cette fois, tenta d’esquiver et se protégea le visage avec son bras gauche. Le boutoir vint violemment le frapper, occasionnant une déchirure de sa veste. Peut-être convaincu alors d’avoir terrassé son adversaire, au grand soulagement de notre chasseur, le sanglier fila, traversa la haie, le champ, avec, en guise d’étendard, la flèche plantée dont l’empennage s’agitait à chaque contraction des muscles. Il disparut dans la forêt proche. Christophe, encore secoué par l’aventure reprenait ses esprits, récupéra arc et flèche et voulut partir à la recherche de son adversaire. C’est seulement à ce moment là qu’il constata que son pantalon collait à sa cuisse et qu’un liquide chaud coulait le long de sa jambe. Il examina sa blessure, profonde de plusieurs centimètres et longue comme une main. Puis une douleur dans l’avant bras le rappela également à l’ordre. Sous la déchirure de la veste, il voyait du sang… Le sanglier, pourtant pas très armé, lui avait proprement entaillé la fesse gauche et l’avant bras du même côté, ce qui nécessita trois jours d’hospitalisation, une trentaine de points de suture en bas et une dizaine à l’étage supérieur. Quant au sanglier, nul ne l’a jamais revu, ni la compagnie d’ailleurs et les seules marques encore visibles de cette histoire sont les six marches, encore vissées dans l’écorce du chêne. Depuis, l’ami Christophe s’est bien vengé, puisque la saison dernière, il a fléché, en battue, un beau mâle qui accusait le poids plein, de 112 kilos sur la bascule et qui a fait l’objet d’une belle recherche avec un chien de sang. Mais ça, c’est une autre histoire…